El Hadj Yacouba Sawadogo, président des Burkinabè de Bouaké : « La cohabitation entre nous et les Ivoiriens c’est comme l’arbre et l’écorce

A Bouaké et au-delà, il est connu et respecté de tous les Burkinabè. La soixantaine révolue, El Hadj Yacouba Sawadogo est le président du Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger à Bouaké. Ceux qui le connaissent confirment que son amour pour la mère patrie n’a pas d’égal. D’où le pseudo « La Patrie » qu’on lui colle. A la faveur de la coupe d’Afrique des nations Côte d’Ivoire 2023, nous avons eu l’occasion d’échanger avec lui dans son espace de prédilection, au milieu de ses amis, devenus une famille solidaire. Ancien maire de Bouaké de 1980 à 1990, El Hadj Yacouba Sawadogo, nous parles de Bouaké, des Burkinabè vivant dans cette ville et de sa mission en tant que président des Burkinabè de Bouaké.

Comment êtes-vous arrivés à Bouaké ?
Mon père, paix à son âme, est un ancien combattant. Il a fait les guerres mondiales de 14-18 et 39-45. Son numéro matricule, c’est 75445. Après la guerre de 46, il est rentré en Côte d’Ivoire en passant par le Sénégal. Il est allé prendre notre maman au Burkina pour venir et nous sommes onze enfants qu’il a eus en Côte d’Ivoire, ici. Je suis né à Bouaké ici, donc je connais bien la Côte d’Ivoire précisément Bouaké plus que le Burkina Faso. Moi-même, j’ai des enfants qui sont nés ici aussi. Si entre mon père et ceux qui sont ici, ça ne marchait pas, peut-être qu’il n’allait pas aller chercher notre maman. Mais c’est parce que ça a bien marché que nous sommes nés ici et on a fait nos enfants ici.

A quoi consiste votre mission ?
Ma fonction c’est de réunir tous les Burkinabè vivant à Bouaké et faire le bon arbitrage quand parfois ça ne tourne pas bien. Quand vous vivez en communauté, il y a parfois des incompréhensions. Dieu merci depuis que je suis à ce poste jusqu’aujourd’hui toutes les tâches qu’on me confient, sincèrement avec la collaboration et les bénédictions de tout un chacun, j’arrive à m’en sortir. Je gère à partir de Yamoussoukro jusqu’à la frontière. Dans ma juridiction, j’ai cinq autres personnes qui me rendent compte et moi aussi je rends compte à la haute hiérarchie. C’est-à-dire le Consul.

Quels sont vos difficultés ?
Dans ma mission je rencontre des difficultés, mais pas de grandes. Parce qu’avant de me déplacer je me renseigne. Et quand j’arrive je mets de l’eau dans mon vin car nous sommes nés au temps du président Houphouët Boigny il nous est dit que la paix n’est pas un mot, c’est un comportement. Donc si y a des situations, je préconise la paix et celui qui n’a pas raison je l’appelle de côté pour lui parler. Celui qui a raison, il lui présente ses excuses pour qu’on avance. Il est obligé de reconnaître son tort et puis on avance. Pour gérer ces difficultés, souvent ce n’est pas difficile.

Comment la communauté burkinabè est-elle organisée au niveau de Bouaké ?
Nous sommes organisés en communautés, c’est-à-dire il y a le chef de la communauté samo, le chef de la communauté peulh… J’ai au total 47 chefs de communautés sous ma coupe. Lorsqu’il y a une réunion d’urgence, il suffit de passer un coup de fil et ces 47 chefs sont là. C’est pour vous dire que nous avons fait en sorte que toutes les communautés qui se retrouvent ici aient leur chef. Si ça ne va pas entre eux, on intervient dans le bon sens. Parce que le président Houphouët Boigny nous a dit qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. Donc à chaque fois on essaie de mettre de l’eau dans le vin de tout un chacun pour pouvoir vivre en paix avec les autres communautés qui sont ici à Bouaké.

Qu’en est-il de la cohabitation avec vos frères ivoiriens ?
La cohabitation entre nous et les Ivoiriens, c’est comme l’arbre et l’écorce. Il n’y a même pas de distinction entre le Burkinabè et l’Ivoirien. Un exemple, si vous comptez une, deux cours, dans la troisième vous allez trouver un Burkinabè qui a marié une Ivoirienne, ou bien a deux femmes ivoiriennes avec plus de dix enfants. S’il n’y a pas d’entente, ce brassage-là peut-il être possible ? Actuellement, je ne sais pas exactement combien de Burkinabè vivent dans ma juridiction. Parce que n’importe où vous irez, vous allez trouver une femme ivoirienne qui est mariée à un de mes compatriotes. Dans ces foyers, il y a des enfants qui sont devenus des cadres de la Côte d’Ivoire. Moi j’ai été maire de la ville de Bouaké de 1980 à 1990. Le maire actuel de Bouaké m’a désigné comme signataire. Donc, c’est pour vous dire qu’entre le Burkina et la Côte d’Ivoire, la fraternité demeure. Nous sommes nés trouver que nos arrière-grands-parents étaient ensembles et nous avons maintenu cette dynamique. Quand j’arrive à des cérémonies ivoiriennes, on me confie immédiatement la responsabilité de l’organisation. Ce que je peux dire c’est que les Burkinabè se sentent bien en Côte d’Ivoire précisément à Bouaké où je gère.

Sur le terrain quels sont les problèmes qui vous reviennent très souvent ?
Les petits problèmes entre éleveurs et cultivateurs ne peuvent pas finir, mais on n’a jamais envoyé un éleveur burkinabè à la police ou à la gendarmerie. Quand un problème survient on fait asseoir les protagonistes sur la table de discussion. S’il y a eu des dégâts dans le champ, on demande à l’éleveur de payer un peu pour satisfaire le cultivateur. Et on donne aussi un avertissement à l’éleveur de faire en sorte que ses bœufs ne rentrent plus dans le champ du cultivateur. Parce que si on ne cultive pas, on ne peut pas vivre. S’il n’y a pas de bœufs aussi on ne peut pas manger de la viande. Chacun prend soin de ce qu’il a et on avance.

Comment vivez-vous ces moments de turbulences entre le Burkina et la Côte d’ivoire ?
Quand les choses ont commencé, j’étais en convalescence. Mais je peux vous dire que jusque-là, nous ne sentons rien. Pour nous la population si le commerce marche bien, les cultures marchent bien aussi. Il y a la cohésion entre nous, le reste nous ne concerne pas. Il est évident que la crise sécuritaire au Burkina a des répercussions sur les Burkinabè qui vivent ici, parce que chacun a son parent au Burkina Faso. Ceux qui sont ici et se débrouillent, doivent envoyer quelque chose pour aider ses parents ou son ami au pays. Nous prions Dieu pour que la situation s’améliore au Burkina Faso. Toutes les religions y compris les féticheurs se sont retrouvées ici pour prier pour que la situation au Burkina Faso puisse prendre fin, et que les autorités puissent s’entendre pour que le pays avance. Si vous voyez tout ce monde réuni ici ce matin (il fait allusion à son grin), c’est parce qu’il y a l’entente. Parce qu’il y a la tolérance, la paix, la compréhension. Donc au Burkina aussi s’il y a la même chose, ça va aller. Nous avons créé nous-mêmes, notre service social. Je prends un exemple, ma ville d’origine est Kaya. Donc si quelqu’un a un problème, qu’il soit malade mentalement, hospitalisé, j’appelle les gens de Kaya je demande à chacun de faire la solidarité, on cotise. Celui qui a 1000 FCFA ou 200 FCFA, on met ensemble pour pouvoir aider ceux qui en ont besoin. Si vous voyez que les 47 chefs de communauté sont à ma disposition, c’est parce qu’il y a la solidarité entre eux d’abord avant que je puisse m’engager ; puisqu’on n’est pas payé, sans la solidarité entre nous on ne peut rien faire.

Firmin OUATTARA
Ousmane TRAORE
Depuis Bouaké