Entretien : «Pour rendre Bobo attractif sur le plan culturel, il faut soutenir les artistes», Abdoulaye Dragoss Ouédraogo, Professeur, artiste, cinéaste

Le professeur Dragoss Ouédraogo a fait son école primaire à l’école de la mission catholique située près du quartier Bolomakoté et du camp militaire de Bobo-Dioulasso. Il a fréquenté le Lycée Ouezzin Coulibaly où il a obtenu son Baccalauréat en 1973. Et il a entamé ses études universitaires de journalisme, de cinéma et d’anthropologie en France. Ce natif de Bobo a enseigné dans plusieurs universités du monde et a réalisé plusieurs films.

Comme le Professeur peut-il se présenter à nos lecteurs ?

Je suis Ouédraogo Dragoss Abdoulaye et je suis Anthropologue à l’Université de Bordeaux,

Enseignement à l’Université fédérale Rio Grande de Norte à Natal (Brésil), à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique à Bamako (Mali), à l’Institut Supérieur de l’Image et du Son (ISIS) Ouagadougou (Burkina Faso). De plus, je suis Expert associé du laboratoire LAM (Les Afriques dans Monde), cinéaste, réalisateur et membre du Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP).

Quels sont les souvenirs qui restent de votre enfance à Bobo ?

Les moments qui ont marqué ma vie à Bobo-Dioulasso, c’est d’abord, les années d’école primaire de 1960 à 1966. Aussi, les instituteurs ont éveillé ma curiosité à l’acquisition du savoir au-delà des apprentissages scolaires ; c’est-à-dire des pratiques artistiques et culturelles (le conte, le dessin, le théâtre, le chant, la danse, etc..) et le sport.

Il y a les activités sportives et culturelles au sein du Patro à Kôkô, notamment pendant les vacances scolaires. Aussi, il y a les années scolaires au Lycée Ouezzin Coulibaly de 1966 à 1973. La vie sociale communautaire avec des enfants du quartier Kôkô ont constitué des cadres d’épanouissement individuel et collectif pour beaucoup de générations.

Outre les activités scolaires, j’ai été impliqué dans la pratique sportive, sélectionné dans les équipes de football du Lycée (minimes, cadets et juniors). Les activités culturelles, notamment le théâtre, le cinéclub me passionnaient également. Je fréquentais assidûment le « centre culturel franco-voltaïque » (NDLR : aujourd’hui Institut Français) où je lisais les journaux de la presse française et internationale, les livres de la littérature française et africaine. J’avais été remarqué par les bibliothécaires qui m’ont permis d’emprunter des livres, et de participer aux séances de projection de films avant leur programmation pour les publics. Toute cette période a fortement contribué à mon éveil culturel, et mon intérêt pour les informations politiques de mon pays, de l’Afrique et sur le plan international. J’ai encore aujourd’hui des vieux cahiers de mes notes de lectures de livres de cette l’époque.

Dans quel quartier viviez-vous et quelles activités faisiez-vous avec les adolescents de votre âge ?

La période de l’adolescence, outre les activités scolaires, j’étais impliqué dans la vie de quartier avec les enfants de ma tranche d’âge à Bolomakoté. Un quartier populaire caractérisé par l’omniprésence des musiques traditionnelles au rythme du djembé, des balafons et des tambours. Le quartier aux mille cabarets avec la présence de nombreuses troupes de musique et de danse d’où a émergé la célèbre troupe Farafina.

Auriez-vous des anecdotes à nous raconter ?

Le maraudage était une pratique courante. Nous formions des groupes pour aller voler les fruits dans les jardins maraîchers, les mangues de la mission catholique.

Un jour, avec un ami du quartier, nous avons été voler les oranges à la mission catholique. Nous avons été poursuivis par les curés qui nous ont rattrapés et enfermés chacun dans une armoire. Nous avons hurlé, tambouriné la porte, sué à grosses goûtes. Au bout de quelques minutes, ils ont ouvert la porte, et nous ont laissés partir après nous avoir distribué des gifles. Sur le chemin de retour à la maison, nous avons juré de ne pas divulguer aux autres enfants du quartier notre mésaventure.

Nous formions des groupes le soir pour aller voir les films dans les salles de cinéma de la ville de Bobo-Dioulasso. Il y en avait principalement quatre. Trois salles situées au centre-ville (Eden, Normandie et Rex) et le ciné Rio était située au quartier Kôkô.

Le soir nous partions du quartier Bolomakoté en direction du centre-ville aux abords des salles de cinéma. Nous n’avions pas d’argent pour payer les billets d’entrée. Alors nous grimpions sur les grands arbres autour des salles non couvertes et accrochés aux branches des arbres nous regardions les images sur les grands écrans. Certains enfants somnolaient et tombaient. Il y a eu quelques blessures dans ces circonstances. Alors, les agents de la police faisaient la ronde pour nous faire descendre des arbres. Pour marquer notre refus d’obtempérer, nous grimpions dans les arbres avec des petits sacs remplis de poudre de piments. Lorsque les agents de police nous intimaient l’ordre de descendre, ils recevaient du piment dans les yeux. Nous pouvions ainsi leur échapper.

Quels sont les lieux qui résument Bobo, selon vous ?

Les lieux de mémoire de la ville de Bobo-Dioulasso sont le quartier Bolomakoté, Sikasso Sira, les maisons à l’architecture coloniale soudanaise (le Palais de Justice, la gare de Bobo, le dispensaire à Sikasso Sira datant des années 1930. La mosquée de Dioulassoba, le vieux quartier Sya. La source Dafra et les poissons sacrés, les Silures). Ce patrimoine doit faire l’objet de mesures de protection et de rénovation par le ministère de la culture.

Comment pouvons-nous préserver ou sauvegarder ce patrimoine ?

Le projet de valoriser la mémoire de Bobo-Dioulasso nécessite une étude de terrain pour collecter toutes les données sur le potentiel de ce patrimoine matériel et immatériel. Cette étude permettra de constituer un solide dossier en vue d’inscrire ces sites historiques et culturels au patrimoine mondial de l’UNESCO.

On voit que Bobo est enfouie dans votre enfance, quels autres souvenirs avez-vous encore de cette ville ?

Bobo-Dioulasso évoque pour moi, mes souvenirs d’enfance, une ville, carrefour multiculturel d’Afrique de l’Ouest, une ville hospitalière, une ville aux potentialités économiques immenses, mais peu valorisées du fait de la mauvaise gouvernance des régimes qui se sont succédés dans notre pays depuis les indépendances formelles de 1960. Un sentiment d’abandon de cette ville qui a vu péricliter son maigre tissu industriel avec la fermeture des usines et des entreprises.

Comment l’Anthropologue que vous êtes peut-il faire revivre cette ville qui semble chercher à retrouver son charme ?

Faire revivre le passé de cette ville, est une option importante. Mais, il ne faudrait pas l’envisager sous l’angle de la nostalgie émotionnelle. La mémoire doit s’inscrire dans une démarche dynamique pour tirer des enseignements du passé en vue de mieux comprendre le présent et ouvrir des perspectives pour l’avenir. La ville de Bobo-Dioulasso a été un foyer de résistance et des luttes anticoloniales contre la domination coloniale française. Des récits de ces luttes peuvent et doivent nous inspirer pour les combats d’aujourd’hui en vue de la conquête de droits démocratiques et sociaux et d’un épanouissement des citoyens et citoyennes de cette ville.

Les traditions de carrefour multiethnique et multiculturel d’Afrique de l’Ouest et d’hospitalité de Bobo-Dioulasso constituent un socle pour lutter contre les manœuvres de division des populations avec les thèses régionalistes, ethnicistes et réactionnaires.

Un musée de l’Image et de la Photo constitue un espace de rencontre et de savoirs pour rendre visibles les éléments d’une mémoire vivante.

 Que faites-vous aujourd’hui dans la diaspora ?

Aujourd’hui, je réside en France à Bordeaux. Mes activités professionnelles, universitaires et artistiques me conduisent à voyager beaucoup en Europe, en Afrique, en Amérique latine, aux Etats-Unis, etc …

Mais, je garde un lien constant avec mon pays le Burkina Faso. Je vais chaque année au pays, mais avec la pandémie du covid-19, je n’ai pas pu faire le voyage depuis 2019. J’espère renouer avec cette habitude si possible avec la reprise des voyages.

Je viens pour voir la famille, les amis, pour donner mes cours de cinéma à l’ISIS (NDLR : Institut Supérieur de l’Image et du Son), pour les évènements culturels comme le FESPACO (NDLR : Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou). Je viens aussi pour m’imprégner des réalités économiques, sociales et politiques du pays.

Bobo a-t-elle une place dans votre travail de création artistique ?

La ville de Bobo m’inspire. C’est là où j’ai été nourri des arts et des pratiques culturelles depuis l’enfance. Bobo, c’est aussi les valeurs humanistes, l’ouverture aux autres dans une dynamique d’échange qui m’ont été transmis dans cette ville où j’ai appris le vivre ensemble avec des gens de diverses origines. Mon travail intellectuel et artistique s’inspire de cette expérience.

Avez-vous réalisé des films à Bobo ?

J’ai réalisé des films à Bobo-Dioulasso. Mon premier film tourné en 1992 intitulé «DEN BAYA» (la famille) a été tourné à Bobo-Dioulasso. Des séquences importantes de mon film documentaire «TLE WILI» (Soleil levant) sur les mobilisations et luttes populaires contre l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, ont été tournées à Bobo-Dioulasso. J’ai un projet de film en chantier sur des éléments d’histoire de cette ville.

En outre, je travaille avec des artistes bobolais et bobolaises (musiciens, comédiens, comédiennes) dans mes projets (spectacles, contes et musiques, films). Comme projet, je souhaiterais mettre en place des ateliers de formation en cinéma pour des jeunes des quartiers.

Vous avez déjà évoqué des idées pour faire revivre Bobo. Comment rendre cette ville attractive sur le plan culturel et cinématographique ?

Pour rendre Bobo attractive sur le plan culturel et cinématographique, il faut soutenir les artistes des diverses disciplines dans leurs activités de création. Doter la ville des infrastructures culturelles pour permettre les expressions artistiques. Il est impératif de donner des moyens matériels en quantité et en qualité aux artistes qui ont des idées et des projets pour dynamiser la vie culturelle et artistique dans cette ville. Les festivals culturels se créent mais ne sont pas soutenus par les autorités nationales, provinciales ou municipales. Le projet de rénovation du complexe cinématographique CINÉ GUIMBI est une initiative salutaire qui va contribuer à la relance du cinéma à Bobo-Dioulasso.

Kibidoué Eric BAYALA

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