Comme on le dit à Bobo, un kôrô est un kôrô ! Quand il parle on l’écoute ; quand il écrit dans le groupe Facebook «Nous de Kôkô», c’est un plaisir de le lire ! Quand il se fit et se confie à L’Express du Faso on le «kouma» (parole) et le sêbê (écriture), c’est un délice. Fonctionnaire international à la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), il sillonne les capitales des 16 Etats de la communauté pour parler de développement. Dans cet entretien, le kôrô « Salif » relate son Kôkô, sa famille, sa jeunesse et ses projets pour Bobo, la ville où toutes les communautés du Burkina Faso et de la sous-région vivent dans une intelligente harmonie. Nous vous proposons cet entretien en deux parties.
Qui est Salifou Tiemtoré ?
Je m’appelle Salifou Tiemtoré. Je suis né à Kôkô à côté de la deuxième mosquée des Kassamba Diaby à Bobo-Dioulasso. J’ai 54 ans, marié et pères de trois (03) enfants. J’ai fait mes études primaires à l’Ecole Centre Garçons et mes études secondaires au Lycée Municipal et au Lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso. Mes études universitaires, je les ai effectuées à Ouagadougou à la Faculté des Science Economiques (Maitrise en planification économique) et à l’Université d’Abidjan-Cocody (DESS en gestion de la politique Economique). Diplômé de l’Ecole Nationale des Régies Financières, j’ai été un cadre de la Direction Générale des Impôts. Et depuis 2004, je suis un cadre supérieur de la CEDEAO au Nigeria où j’occupe les fonctions de Directeur de l’Union Douanière et de la Fiscalité depuis 2011. A la CEDEAO, je travaille avec les administrations douanières et fiscales des Etats membres de la CEDEAO sur les questions d’harmonisation et de convergence des politiques douanières et fiscales.
Quels sont les moments qui ont marqué votre vie à Bobo ?
Comme tous les hommes de mon âge, une enfance à Bobo dans les quartiers populaires est une période inoubliable et vous marque pour la vie. Mes souvenirs remontent à cette période où, avec d’autres bambins, nous avons vécu ensemble des aventures et des espiègleries. Mes souvenirs sont souvent très précis lorsque je parle de cette époque.
C’est quoi Bobo pour vous aujourd’hui ?
Bobo est ma ville natale. C’est la ville où mes parents se sont installés dans les années 1950 et ont vécu toute leur vie. Mes racines sont donc à Bobo. J’ai été façonné par la somme des valeurs culturelles qui caractérisent cette ville. Le dioula parlé à Bobo est ma première langue et c’est dans l’environnement socio-culturel de cette ville que je m’épanouis le mieux. Pour parler simplement, Bobo est en moi.
Quels sont les lieux, les quartiers, les bâtiments qui vous ont marqué à Bobo ?
Assurément, Kôkô attirera en première position mon attention, car j’y suis né et c’est dans ce quartier que se trouve la concession familiale. Mon père, El Hadj Salam TIEMTORE, est arrivé à Bobo en 1956 et s’est installé dans un premier temps à Farakan. Il a déménagé par la suite à Kôkô où il a été locataire avant d’acquérir sa propre parcelle en 1962. A l’exception de l’ainé de la famille, tous mes frères et sœurs sont nés dans cette cour familiale qui jouxte les concessions de la grande famille des Kassamba-Diaby. Il avait d’ailleurs ouvert un commerce sur la rue Vicens où il vendait des pagnes et des ustensiles qu’il partait acheter au Ghana et en la Côte-d’Ivoire.
Oui, Kôkô est mon principal centre d’intérêt et comme vous le savez, tout autour de Kôkô il y avait de nombreux endroits pour entretenir et égayer un jeune garçon. Je commencerai par le marigot Houet qui était à l’époque un véritable lieu de villégiature. J’ai même fait un Post sur la plateforme Facebook de l’Association Bobo Avant-Avant sur mes souvenirs sur ce patrimoine important de notre ville. Il y a aussi l’immense domaine de T.O.A (Travaux Ouest Africaine) site de cette entreprise de travaux publics de l’époque coloniale. Cette zone s’étend tout le long de l’avenue Charles De Gaule et était remarquable par ses innombrables manguiers alignés de part et d’autre et qui couvraient l’avenue d’une ombre bienfaisante. Pendant la période des mangues, nous allions nous régaler de ces délicieux fruits sucrés, abondants et livrés à tous. C’était aussi notre terrain de chasse aux margouillats qui, parfois, se poursuivait dans les jardins des Européens qui y vivaient, attirés que nous étions aussi bien par ces arbres aux fruits exotiques que par les reptiles. Enfin, il y a le marché central de Bobo. Mon père s’est installé au grand marché de Bobo vers 1969 et son commerce était à l’actuel emplacement de la librairie DIACFA. Il abandonna cet endroit pour des hangars au sein même du marché en 1975. Il a toujours intéressé ses enfants à ses activités commerciales. Nous lui donnions de précieux coups de main pendant les vacances et les jours de repos scolaires. Aussi, je connais le marché central (l’ancien marché) dans ces moindres recoins.
Le bâtiment qui m’a le plus impressionné à Bobo par son style architectural reste la grande mosquée de Dioulasso-Bâ. J’ai toujours été impressionné par la hauteur de son minaret qui a traversé le temps. Je salue la persévérance de tous ceux qui ont contribué à entretenir ce monument entièrement en banco qui est le site touristique le plus imposant de la ville de Bobo.
Auriez-vous des anecdotes sur Kôkô ?
Le développement de la ville de Bobo a fait de Kôkô un quartier central, un carrefour où se trouvaient beaucoup d’endroits merveilleux. Comme tous les enfants de cette époque où il n’y avait pas de télévision, le cinéma était la seule attraction. J’étais un passionné du cinéma. Malgré les interdictions des parents, je me débrouillais pour aller voir des films au Patro, au centre culturel franco-voltaïque [NDLR : aujourd’hui Institut français de Bobo-Dioulasso] ou dans les salles de cinéma de l’époque. Les films western dans un premier temps avant l’arrivée des films karaté chinois qui seront rapidement censurés.
Une anecdote, en 1980 et pendant les vacances j’avais fait le tour des trois salles de cinéma de la ville (Rio, Eden et Rex) et j’avais noté que les trois salles projetaient trois films d’arts martiaux différents et j’avais un problème pour choisir là où je devrais finalement aller pour assister à la projection. Je n’ai pas pu me décider et aussi incroyable que l’on puisse l’imaginer aujourd’hui, j’ai décidé d’aller dans les trois salles le même soir. J’ai commencé par Ciné Rex pour la séance qui commence à 18h30 qu’on appelait matinée, ensuite je me suis rendu à Eden pour la séance de 20h30, premier coup et j’ai terminé par Ciné Rio pour la séance de 22h30, deuxième coup. C’était le genre de soirée marathon que nous nous imposions pour ne rien rater. Chose qu’on imagine mal aujourd’hui.
Comme tous les enfants de Bobo, j’étais aussi passionné de football, pas en tant qu’acteur (j’étais un très mauvais footballeur) mais en tant que spectateur. Je ne ratais aucun match à Kôkô et au stade municipal surtout ceux de l’ASFB, l’équipe de mon cœur. J’ai aussi, avec d’autres gamins, escaladé le mur pour regarder les prouesses des joueurs phares de mon époque : Diarra Sidiki, Compaoré Abdoulaye, Bado Alphonse, Traoré Dramane (Dou), Bangré Tahirou Zimako, etc. A défaut du terrain de football, j’occupais le banc avec les réservistes d’où le surnom cocasse d’« entraineur » qu’on me sert encore dans les intimités bobolaises. Bien sûr, je n’ai entrainé personne, mais je savais juste mettre en exergue et dans un langage footballistique les phases de jeu. Enfin, à Kôkô, tout le monde a un surnom.
Je me rappelle aussi d’une mésaventure avec un groupe d’amis. C’était pendant les vacances, nous allions du côté de la Transafricaine (Compagnie de transport sous la colonisation dont le garage était à la lisière du quartier Kôkô) dans les hautes herbes pour faire la « guerre ». C’était un jeu de cache-cache qui consiste à surprendre son adversaire le premier afin de gagner la partie. Nos petites tailles nous permettaient de disparaitre aisément dans les touffes d’herbes et trouver une planque parfaite quasi introuvable. En général, on se répartissait en plusieurs groupes de deux ou trois enfants.
Pendant que j’étais planqué avec mon compère, moi devant et lui derrière dans les hautes herbes, j’entends celui-ci me marmonner quelque chose à l’oreille. Salif ! Salif ! Quelque chose me chatouille le dos. Et puis, silence, il ne parlait plus.
Et soudain, je le vois se relever et prendre ses jambes à son coup sans crier garde. Je l’ai suivi sans mesurer et comprendre ce qui se passait. C’est une fois à une bonne distance du lieu, que mon compagnon d’infortune reprit son souffle et son esprit et commença à crier : Saa ! Saa ! En me montrant du doigt un gros serpent qui trainait là où nous étions embusqués. On a vite remarqué qu’il avait de la peine à se déplacer le pauvre serpent. Il avait avalé un gros lézard (saa kenin) et avait des difficultés à le faire passer. C’est au cours de cette tentative pour avaler le lézard que le pauvre serpent s’est retrouvé sur le dos de mon ami. Le serpent était gros et long, nous n’avons pas osé l’affronter.
Nous nous sommes précipités sur l’avenue Guimbi Ouattara, où il y avait des adultes ; un mécanicien a bien voulu nous accompagner pour être témoin de notre rencontre. C’est ce dernier qui s’occupa du serpent sous nos regards médusés. Je crois que ce fut la dernière fois que je suis allé en «guerre».
Eric Kibidoué BAYALA