La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a proclamé officiellement les résultats provisoires des élections présidentielle et municipales. Lionel Bilgo, consultant politique, nous livre ses appréciations sur les performances de l’opposition et les défis du président élu.
Quelle est votre appréciation générale par rapport aux élections du 22 novembre dernier ?
De mon point de vue, la phase préparatoire des élections s’est bien passée. La quête permanente d’un consensus politique sur la démarche à suivre a toujours guidé l’action de la CENI ainsi que celle de la classe politique dans son ensemble. Bien entendu, sur certaines questions, le tout consensuel a manqué et attendre de satisfaire tout le monde se résumait à ne rien faire. Pour ce qui concerne la phase opérationnelle, il y a eu de nombreux dysfonctionnements inexcusables ont perlé la journée du 22 novembre, quand on sait l’expérience de la CENI dans le pilotage des élections dans notre pays. C’est, il faut le dire, l’une des CENI les plus chères de notre histoire pour un résultat émaillé de manquements liés principalement à l’organisation. Il faut poursuivre la recherche des causes pour ainsi améliorer notre dispositif organisationnel en matière d’élections. Je voudrais en dépit des manquements constatés ici et là, saluer le sens élevé de la responsabilité de notre classe politique et de notre société civile. C’est le Burkina qui gagne quand nous savons préserver la paix en bannissant la démesure de nos égos.
Le Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré a été élu au premier tour avec 57,87% des voix. Etes-vous surpris ?
Personnellement, je ne suis pas surpris même si j’ai demandé pendant la campagne que chaque camp fasse attention aux pronostics zélés pour ne pas créer des niches de crises post-électorales. Il faut dire que l’opposition n’a pas eu de répits durant le quinquennat précédent face à ses propres démons. La guerre de positionnement et les conflits internes des deux grands partis de l’opposition que sont le CDP et l’UPC ont atrophié leurs actions pour la conquête des voix. Pour une opposition, une élection ne se gagne pas sur le sprint final mais tout au long du quinquennat. Malheureusement, notre opposition très divisée et fragmentée a consacré une bonne partie de son temps à ses guerres intestines et à colmater ses brèches qu’à s’opposer à la mouvance. Cette dernière n’a eu de vrais opposants teigneux que la classe syndicale et la société civile à travers la virilité de certains activistes. De plus le MPP a tout de même eu un bilan social parlant et ce malgré le déni de l’opposition. Je veux parler par exemple de la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. Cette offre sociale, malgré des imperfections, est une bénédiction sans pareille pour les familles en milieu rural, haut lieu de concentration de la masse électorale. Les infrastructures routières et la mise à disposition spectaculaire d’ambulances à quelques semaines de la campagne aux zones rurales sont venues confirmer l’estime sociale du MPP dans ces localités.
Est-ce à dire que l’opposition politique n’était pas à la hauteur de la tâche ?
Notre opposition a en son sein des hommes d’expériences mais ces élections viennent nous rappeler, pour ce qui concerne notre pays, que l’expérience seule ne suffit pas pour assurer la victoire. Il faut en plus de l’appareil politique avoir une ressource humaine dotée d’une compétence terrain certaine. Il faut généralement des Hommes proches des populations car au final, le choix de cette dernière se fait en fonction de celles et de ceux qui portent le programme du parti que sur la qualité du programme en lui-même. La ressource humaine de l’opposition était fragmentée et très souvent débauchée par le parti au pouvoir. Souvenez que Zéphirin Diabré, Président de l’UPC, avait minimisé les démissions de certaines personnes de son parti à l’aube de la campagne. Il est possible de faire une corrélation entre ces départs et la baisse du score du parti. Une chose est sûre, le paysage politique est en pleine mutation et cette mutation n’est pas prête de s’arrêter maintenant.
Pour réussir ce mandat, à court terme, quels doivent être les défis du Président Roch Marc Christian Kaboré ?
Je pense que le premier défi du Président est la question de la sécurité mais aussi celle du paysage sociale. L’un ne va pas sans l’autre. A mon humble avis, il faut urgemment mettre en place un nouveau contrat social qui permette à chaque Burkinabè de se reconnaître dans le Faso mais aussi de s’engager pour le Faso. Cette première étape très difficile, car elle appelle à des reformes houleuses et courageuses, permettra d’asseoir les bases claires de fonctionnement de la vie de notre pays pour ensuite aisément résoudre les problèmes cruciaux qui handicapent sérieusement notre développement. C’est aussi un mandat qui pourra intégrer la dimension réconciliation. Le but de ce nouveau contrat social sera entre autre de redonner confiance aux Burkinabè entre eux mais aussi entre eux et les institutions. Le rétablissement de l’autorité de l’Etat et le bannissement de l’incivisme pourraient se faire par ce canal. Pour ce faire, le casting du nouveau gouvernement sera un fort indicateur de la manière dont le Président veut conduire son mandat.
Jules TIENDREBEOGO