Luc Marius Ibriga, Contrôleur général d’Etat : « Nos rapports dorment peut-être parce que certains ne veulent pas les utiliser »

Présent à Bobo-Dioulasso, le Contrôleur général d’Etat, Luc Marius Ibriga a bien voulu accorder un entretien à votre quotidien L’Express du Faso, auquel il a rendu visite le mardi 15 décembre 2020. Il a été surtout question du travail de son institution, de ses limites, mais aussi des espoirs. Lisez !

 

Monsieur le Contrôleur général d’Etat, quelle est la raison de votre présence à Bobo-Dioulasso ?

 

Nous sommes à Bobo-Dioulasso dans le cadre de la tenue du Cadre de concertation annuel des corps de contrôle de l’ordre administratif. L’Autorité supérieure du contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption (ASCE-LC) assure la tutelle technique des Inspections techniques des services (ITS), de l’IGF et de certaines structures qui sont chargées du contrôle administratif interne. Un décret a été pris en 2011 instituant un cadre de concertation annuel au cours duquel, les inspections techniques, l’IGF et l’ASCE-LC cordonnent leurs activités pour éviter les doubles emplois et aussi faire le bilan des activités. Depuis 2012, nous profitons de cette rencontre pour renforcer les capacités des ITS sur certaines problématiques. Voilà pourquoi cette année à Bobo le thème retenu est la détection et l’analyse de gestion pour assurer une meilleure défense du bien public. Nous discuterons également du rôle des corps de contrôle de l’ordre administratif dans le cadre de la détection de l’analyse et du traitement des pôles de gestion.

 

A l’ouverture de ce conclave vous déclariez que les fautes de gestion seront désormais sanctionnées par la Cour des comptes. Est-ce à dire qu’elles ne l’étaient pas ?

 

Il y avait une déficience dans la mesure où, quand vous prenez le conflit juridique, il n’y a pas de définition de la faute de gestion. Ce qui fait que le juge de fond, quand il doit apprécier la faute de gestion, la plupart du temps il renvoyait comme n’étant pas une faute pénale. Parce que quand dans nos rapports nous indexions certaines attitudes comme des fautes de gestion, ça n’a pas un caractère pénal. Un directeur général qui prend une décision de licencier un travailleur de manière abusive et qui, en retour fait que l’Etat est condamné à payer des dommages et intérêts, il n’y a pas de caractère pénal. Mais, il y a là une faute de gestion qui est qu’il n’a pas pris la précaution nécessaire pour l’utilisation des prérogatives qu’on lui a données. De la même manière que vous pouvez avoir quelqu’un qui, dans le cadre des prérogatives de direction, prend une décision qui coûte à l’Etat. En ce moment, il s’agit d’une faute de gestion. Mais quand on l’envoie au procureur comme un manquement, ça ne relève pas de la faute de pénal.  Donc, on nous renvoyait la faute comme étant faute de gestion. Alors que les fautes de gestion relèvent de la compétence de la Cour des comptes ! Or, au niveau de cette Cour il manquait un maillon, la Chambre de discipline budgétaire qui n’avait pas encore été mise en place. Ce qui faisait qu’il était difficile que nous puissions transférer les dossiers au niveau de la Cour des comptes.

 

C’est désormais chose faite ?

 

Oui ! Depuis l’année dernière, vers le début de l’année 2020, la Chambre de discipline budgétaire est opérationnelle. Voilà pourquoi nous mettons l’accent sur les fautes de gestion pour que véritablement, il y ait moins de négligence dans la gestion du bien public. Parce que certaines personnes prennent des décisions à la légère. Même si ça coûte après à l’Etat, la personne continue son chemin parce qu’elle considère qu’elle n’a pas à répondre de ses actes. Dorénavant, on aura à répondre de ses actes pécuniairement pour des fautes de gestion qu’on aura commises.

 

A la création de votre institution les Burkinabè avaient fondé beaucoup d’espoir en elle. Vous produisez des rapports chaque année. Etes-vous satisfait des suites qui leur sont réservées ?

 

C’est tout cela la question ; parce que la plupart des Burkinabè ne connaissent pas le rôle de l’ASCE-LC. Ils donnent à l’ASCE-LC le pouvoir qu’elle n’a pas. La plupart des citoyens considèrent que l’ASCE-LC a le pouvoir de sanction. C’est-à-dire, nous faisons l’investigation, nous décelons la faute et nous infligeons la sanction. Non ! L’ASCE-LC n’a aucun pouvoir de sanction. L’ASCE-LC a pour but de réunir les preuves des fautes qui sont commises et d’adresser cela en fonction de trois directions. S’il s’agit d’une faute disciplinaire, l’ASCE-LC s’adresse au supérieur hiérarchique notamment au ministre ou au Premier ministre pour que les sanctions disciplinaires soient prises.

Nous faisons un travail mais sa bonification ne dépend pas de nous

S’il s’agit de faute pénale ou d’infraction pénale, elle adresse le dossier au procureur du Faso. S’il s’agit d’une faute de gestion, l’ASCE-LC adresse le dossier à la Cour des comptes. Donc, c’est cette synergie entre l’ASCE-LC, le pouvoir disciplinaire, les juridictions pénales et les juridictions des comptes qui va permettre que véritablement, il y ait une efficacité du travail de l’ASCE-LC. Donc, nous faisons un travail, mais sa bonification ne dépend pas de nous. Ça dépend d’autres acteurs qui sont nos partenaires dans la lutte contre la corruption et la mauvaise gestion.

 

Vos relations avec ces acteurs sont-elles au beau fixe ?

 

Aujourd’hui, nous avons de très nettes améliorations de nos relations avec les institutions judiciaires. Que ce soit la Cour des comptes, que ce soit le procureur du Faso. Maintenant, il reste l’aspect disciplinaire où nous avons des problèmes à cause du non fonctionnement satisfaisant des conseils de discipline. Pour qu’un agent public soit sanctionné, il faut qu’il soit traduit devant le Conseil de discipline. Or aujourd’hui, le Conseil de discipline peine à se réunir. Ça, ce n’est pas la faute de l’ASCE-LC. Mais le problème est que cela donne l’impression d’une impunité alors que de plus en plus, il y a une accélération de la procédure.

Vous avez vu ces derniers temps dans notre relation avec le procureur du Faso sur un certain nombre de dossiers et depuis la création des pôles judiciaires spécialisés, il y a de ce point de vue, un espoir quant au traitement diligent des dossiers. Mais, c’est vrai que la procédure judiciaire a son rythme qui n’est pas le même que le citoyen lambda veut. Mais, c’est un rythme qui est protecteur dans la mesure où quand nous ne sommes pas concernés, nous voulons que la justice aille vite. Mais, le jour où nous serons entre les mailles de la justice, en ce moment nous voudrions bénéficier du principe de la présomption d’innocence, pour que le principe soit la liberté et l’exception soit la détention. Or, quand on donne la liberté provisoire à des personnes qui ont commis des fautes, les gens lèvent les yeux pour dire « ah non » ! Alors qu’on doit comprendre que, quand nous sommes dans un Etat de droit, il y a un certain nombre de principes qui protègent le citoyen ; et si on prend des libertés avec cela, on risque fort d’aboutir, à terme, comme dans les régimes d’exception, à des situations où c’est à la tête du client que la justice va se faire.

 

Que suggérez-vous pour améliorer l’image et l’efficience du travail de l’ASCE-LC ?

 

La première chose que nous souhaitons le plus est que l’ensemble de nos textes d’application soient adoptés. Il y a encore cinq décrets d’application de la loi organique 082-2015/CNT qui sont en souffrance et qui sont essentiels pour le bon fonctionnement de l’ASCE-LC. Cela suppose aussi qu’on ait une meilleure dotation en ressources humaines. Vous vous imaginez qu’en 2015, quand l’ASCE est devenue ASCE-LC, nous avions 30 contrôleurs d’Etat. Aujourd’hui, du fait des départs à la retraite, nous nous retrouvons avec 23 contrôleurs d’Etat. Donc, il y a un déficit alors que normalement la projection que nous avions faite est qu’à ce jour, nous devrions être autour d’une quarantaine de contrôleurs d’Etat. Donc, il y a une nécessité de recrutement de contrôleurs d’Etat. Il y a aussi qu’il serait bon de rapprocher l’institution du citoyen, c’est-à-dire procéder à une certaine déconcentration de l’institution. Aujourd’hui l’ASCE-LC est à Ouagadougou seulement. Compte tenu du rayon de son activité sur le plan national, ça pose un nombre de problèmes et ça coûte plus cher.

Luc Marius Ibriga a félicité L’Express du Faso pour son effort d’exister dans un environnement difficile

Quand vous voulez faire une mission à Gaoua, à Gorom-Gorom ou autre, c’est plus élevé alors que si nous arrivions à avoir des sections de l’ASCE-LC reparties dans certaines zones du Burkina Faso, ça permettra d’avoir un maillage du territoire qui nous permettra d’être un peu plus efficaces. En dernier lieu, c’est qu’on ait une amélioration continue de nos relations avec la justice, avec la Cour des comptes pour que les résultats de nos travaux servent à quelque chose. Mais les rapports qui sont faits par l’ASCE ou l’ASCE-LC sont importants. Savez-vous que toutes les procédures qui sont engagées sous la transition concernant les maires qui avaient été mis en détention sont des rapports qui avaient été produits par l’ASCE après des audits des mairies ? Alors que ces rapports étaient là ! Les gens ont l’impression que ces rapports dorment. Non ! Ils dorment peut-être parce que certains ne veulent pas les utiliser, mais un jour on peut les utiliser et ça peut servir grandement.

J’aime beaucoup la rubrique « sourions un peu » qui est vraiment un endroit d’éducation citoyen

Dans sa dernière livraison, le Courrier confidentiel a fait cas d’un compte du Premier ministère ouvert à la BICIA-B et dont on aurait empêché l’audit. Confirmez-vous cette information ?

 

C’est un rapport que nous avons eu à faire au niveau de l’audit n-1 en ce qui concerne le temps où Paul Kaba Thiéba était Premier ministre. Mais la question ne se pose pas de cette façon. C’est-à-dire que nous avons demandé un certain nombre d’informations qui ne nous ont pas été données. Ce faisant, nous ne pouvons pas aller contrôler un compte dont nous ne connaissons pas les tenants ni les aboutissants d’autant plus qu’il y a des textes pour l’ouverture de comptes dans des structures privées pour le compte des administrations. Il faut une autorisation. S’il n’y a pas d’autorisation donnée par le ministère des Finances, vous ne pouvez pas détenir en tant qu’administration un compte dans une banque privée. Cela est contestable dans la mesure où souvent, ce sont des comptes qui ont été ouverts dans le cadre de projets et qui restent des comptes dormants dans lesquels on fait transiter des Fonds dont on ne sait pas quelle est la destination exacte.

Nous avons demandé que ces différents comptes sans autorisation soient fermés. C’est dans ce cadre aussi que nous avons demandé que l’on diminue le nombre de comptes de dépôts qui sont ouverts pour des activités particulières et restent là et dont on ne sait pas exactement les objectifs.

Parce que les comptes qui ne sont pas mouvementés et qui durent un certain temps, devraient être normalement fermés. C’est dans ce cadre que nous avons eu à épingler la mauvaise utilisation du carburant à la présidence du Faso et dans des ministères pour permettre qu’on ait pris des textes pour encadrer son utilisation.

L’ASCE-LC ne peut pas agir sur un certain nombre de points quand elle n’a pas l’assurance que cela lui est autorisé par ses textes constitutifs. Donc, de ce point de vue, c’est ce fonds qui ressemblait peut-être à un fonds de  souveraineté alors que peut-être il ne répondait pas aux textes et ne pouvait pas être audité de façon plus classique. Nous avons mentionné cela et nous nous sommes tenus à cela pour éviter qu’on nous dise que nous avons outrepassé notre prérogative.

 

Votre mot de fin ?    

Je voudrais féliciter L’Express du Faso pour l’effort que vous faites de pouvoir exister  dans un environnement qui est difficile. Vous n’êtes pas à Ouagadougou pour bénéficier des marchés ou de la publicité qui pourrait vous aider à exister. Mais, je pense que c’est un sacerdoce que vous faites, permettre à la ville de Sya de disposer d’un quotidien qui puisse permettre d’avoir l’information de la région. Et aussi permettre à la citoyenneté, puisque c’est le rôle de votre activité, de se développer. Il y a une partie que j’aime beaucoup dans L’Express du Faso, c’est la rubrique « Sourions un peu » qui est vraiment un endroit d’éducation citoyen. Je vous félicite pour votre activité. Bon vent à vous et beaucoup de courage !

Propos recueillis par

Aly KONATE

Sibiri SANOU

Retranscription : Fatimata BELEM