Photo officielle du Président du Faso : « … Au ‘’bord du Kadiogo’’ et ‘’derrière le Houet’’, il y a bien des photographes pour réaliser cette photo », Paul Kabré, Photographe

Mercredi 28 avril 2021. Il est un peu plus de 9 h 30 lorsque nous recevons dans nos locaux, Paul Kabré, photographe professionnel. Avec une mine grave, ce sexagénaire n’est pas passé par quatre chemins pour exprimer son mécontentement sur les conditions dans lesquelles la nouvelle photo officielle du Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, a été réalisée.

Se référant aux propos de Paul Kabré, la photo officielle du Président du Faso, de manière générale ne pose pas de problème, même si pour lui, un œil professionnel pourrait distinguer une ‘’légère’’ imperfection. Il s’agit, a-t-il dit, « d’une ombre au-dessus de l’épaule gauche du président. Exactement entre son oreille et son épaule ». « Un éclairage homogène permettrait de prendre la photo sans l’ombre en question », a-t-il soutenu. Le véritable problème, pour Paul Kabré, c’est plutôt l’auteure de ladite photo. « J’ai été surpris de voir que la photographe venait de Paris. J’ai eu du mal et j’ai encore du mal à l’accepter. Pas parce que la photographe est de nationalité française, mais je me dis que dans le souci de promouvoir l’emploi des jeunes au Burkina, la moindre des choses, c’est de les aider à exercer leur métier », nous a-t-il confié.

Pour lui, “le pays regorge de jeunes talents dans le domaine de la photographie qui sont à même de faire la photo officielle du Président du Faso. Et si, toutefois on estime qu’ils ne sont pas à la hauteur, la solution est de les encadrer”, a proposé Paul Kabré. « Je sais qu’il y a de jeunes photographes que j’admire beaucoup d’ailleurs. Ces jeunes, s’il estime qu’ils ne sont pas à la hauteur, formez-les. Je ne conçois pas que ce soit ‘’au bord de la Seine’’ qu’on parte chercher un photographe alors qu’au ‘’bord du Kadiogo’’ et ‘’derrière le Houet’’, il y a bien des photographes à mesure de remplir cette tâche».

A l’entendre, cet acte est aux antipodes de la politique du ‘’consommons locale’’ tant prôné par le gouvernement. Sur ce, il a pris exemple sur le port du Faso Dan Fani par le chef de l’Etat lui-même. « Lorsque le chef de l’Etat sort, tout le monde sait que c’est beau, tout le monde veut sortir en Faso Dan Fani. S’il encourage la consommation locale, qu’il l’encourage jusqu’au bout en pensant aussi aux artisans et aux artistes que nous sommes ! C’est le Burkina qui gagne».

« Je ne suis pas fier de savoir que dans tout le Burkina, il n’y ait eu aucun photographe pour réaliser la photo officielle de notre président. C’est frustrant à la limite», s’offusque notre visiteur du jour. La moindre des choses, a-t-il dit, “était de valoriser les photographes au plan local”.

A la question de savoir si sa plainte n’est pas due au fait qu’il n’a pas été choisi pour faire la photo officielle du Président du Faso, Paul Kabré a été catégorique. « Pas du tout ! Les photographes il y en a plein à Ouagadougou. Et même à la Présidence. Peut-être qu’on ne sait même pas que j’existe. Quels sont les critères pour être le photographe d’un président, que les Burkinabè ne peuvent pas remplir ? S’interroge Paul Kabré.

Le domaine de la photographie en péril au Burkina ?

Il nous a confié que « le photographe n’est rien au Burkina. On est tellement bien traité à l’extérieur et quand je viens ici, la façon dont on nous ‘’fouette’’ quand on veut prendre la photo de notre président, c’est comme si… je ne trouve pas les maux».

Paul Kabré trouve que le domaine n’est pas bien organisé. “Il est d’ailleurs difficile de l’organiser”, trouve-t-il. La raison est que beaucoup de photographes sont des « photographes alimentaires». C’est-à-dire en faisant une photo, ils prennent une avance avec le client et à la livraison, ils récupèrent le reste de l’argent, dans le but simplement d’assurer son repas. Ce dernier propose une formation permanente des photographes pour redorer l’image du secteur.

            Un parcours non négligeable

Du haut de ses 66 ans, Paul Kabré a derrière lui 45 ans de carrière dans la photographie. Il a confié avoir embrassé le métier par curiosité. « Je suis rentré dans la photographie, poussé par la curiosité. J’ai voulu savoir comment on arrive à imprimer quelqu’un sur du papier. Quand j’étais à l’école aussi je me rappelle qu’il y a un Européen qui m’a pris en photo au bord de la voie, dans les années 1964 ; je ne sais pas ce qu’il a fait de cette photo mais cela m’a marqué », se souvient-il.

Il a également exercé dans le domaine de l’hôtellerie pendant 24 ans. « Je faisais parallèlement la photo à mes heures perdues. Et en 1997, j’ai estimé qu’il n’y a rien de tel que de faire ce qu’on aime, je me suis donc consacré entièrement à la photographie. Cela m’a été très profitable. Quand vous vivez votre passion et ça vous amène d’un avion à un autre, il n’y a pas plus grand sentiment de satisfaction. C’est ainsi que j’ai été à Bamako, à Bruxelles, à Paris, à l’Île de la Réunion, à Alger. Mes images ont été projetées à Montréal, en Italie, à Barcelone».

Paul Kabré a remporté le 3e prix mondial au « mondial photo festival » en 1999. 87 pays y participaient dont 6 pays africains. A Arlington au Texas, il a, par la suite, été lauréat d’un Master et de deux Prestiges.

Les larmes aux yeux Paul Kabré dit n’avoir pas bénéficié d’un soutien quelconque

Il a avoué, larmes aux yeux, n’avoir pas pu se rendre en Croatie pour récupérer son prix, par manque de moyens. “Je l’ai dit en 2005, un Burkinabè qui est 3ème mondial, avait peut-être besoin d’un peu de soutien pour aller chercher le prix. Le ministère de la Culture à l’époque m’a demandé d’attendre quand le prix va venir on va aller le montrer au président. Alors que j’avais besoin d’aller voir le travail des autres. On m’a donc conseillé d’aller voir un homme politique du pays, pour qu’il me fasse partir en Croatie. Je suis allé voir Achille Tapsoba, il l’a appelé l’homme politique en question. Quand je me suis retrouvé en face de lui, je lui ai expliqué et il m’a demandé si ça y est en rapport avec le parti. J’ai répondu non. Mais je n’ai pas eu la présence d’esprit de dire que ce n’est pas en rapport avec le parti mais plutôt avec le pays. Si j’avais dit que j’étais membre de son parti à Bobo, il allait me demander de m’asseoir. Mais je sers mon pays à ma manière », se défend-il les larmes aux yeux.

D’une voie tremblotante il ajoute : « Quand j’ai vu les Etalons décorés parce qu’ils ont été 3e africain, ça m’a fait sourire. Donc 3e rang mondial n’est rien par rapport à 3e au plan africain ? Quand le prix reçu des Etats-Unis est venu croiser celui de la Croatie, on m’a demandé de faire une lettre pour pouvoir les montrer au Président. Je me suis demandé vraiment si cela en valait la peine. Et finalement je ne l’ai pas fait».

Au plan national, toujours pas de distinction pour le moment pour notre visiteur encore moins une reconnaissance quelconque. « Je ne sais pas, peut-être que le moment n’est pas venu », s’est-il encouragé.

Ousmane TRAORE

Abdoul Etienne SANON

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