Pourquoi la loi modificative du Code électoral est un double viol…

Pourquoi la loi modificative du Code électoral est un double viol collectif de la Constitution et du protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie, les élections et la bonne gouvernance ?

Me Hermann Yaméogo

Campons bien les choses au préalable. Dire que la survenance de l’insurrection et l’accession au pouvoir du régime Kaboré, doivent beaucoup à certains pays africains et occidentaux (dont les ambassadeurs ont joué les proconsuls aux pays des «hommes intègres»), est une évidence que même avec le temps et l’emplâtre du diplomatiquement correct, on aura du mal à dissiper.

Assuré du silence complice de ses partenaires très actifs et décisifs en individuel comme en collectif, les chemins de la montée en responsabilité seront parfaitement jalonnés pour le futur président.

Alors que les insurgés poursuivaient après incendies, saccages et autres cambriolages le travail commandé en renforts de menaces, la transition bafouait les libertés sous le faux prétexte du climat insurrectionnel non apaisé, multipliait les arrestations et les discriminations politiques, au vu et au su de tous.

Les conditions crapuleuses de l’adoption de la charte de la transition grâce à un faux criminel entachant tous les rouages de cette dernière, sonnaient déjà les braquages d’Etat à venir.

Celui du vote anticonstitutionnel de la loi Sy Chérif, qui a ôté à des citoyens leurs droits politiques, les empêchant de se présenter aux élections, n’a pas seulement frappé des candidats, il a aussi porté préjudice aux électeurs ainsi privés de leurs libertés de choix politiques.

Pour faire sortir la démocratie de son lit, on ne pouvait pas procéder autrement.

La cour de justice de la CEDEAO saisie, a reconnu que la loi scélérate était violatrice de droits individuels et politiques consacrés par la constitution et de nombreux instruments internationaux.

Portée par la logique du constat de cette exclusion d’Etat, elle en ordonnera subséquemment la répudiation pure et simple.

Le président Michel Kafando, après avoir solennellement juré que le Burkina Faso respecterait la décision de la juridiction communautaire, versera en un rien de temps royalement dans l’apostasie.

Nul rappel à l’ordre ne viendra de la CEDEAO, des instances bien pensantes des droits de l’homme et de l’universalisme démocratique.

Les scrutins à suffrage limité auront ainsi lieu aboutissant par voie de conséquence, à l’élection d’un pouvoir à surface légitimaire limitée et ce, contrairement aux prescriptions de la constitution en son article 33 : «Le suffrage est direct ou indirect et exercé dans les conditions prévues par la loi.

Le suffrage direct est toujours universel, égal et secret».

Voilà ! «Comme on fait son lit on se couche». Le régime mis en place de façon boiteuse, évoluera à cloche pieds, avec un terrorisme profitant de ses faiblesses pour lui tailler des croupières

Les réalités de la gouvernance se trouveront en contradictions permanentes, avec notre loi fondamentale et avec nombre d’instruments internationaux, dont le protocole additionnel sur la démocratie, les élections et la bonne gouvernance qui dit pourtant ceci en son article 33 :

«1. Les Etats membres reconnaissent que l’Etat de Droit implique non seulement une bonne législation conforme aux prescriptions des Droits de la Personne, mais également, une bonne justice, une bonne administration publique et une bonne et saine gestion de l’appareil d’Etat.

  1. Ils estiment de même qu’un système garantissant le bon fonctionnement de l’Etat, de son administration publique et de la justice contribue à la consolidation de l’Etat de Droit».

Des illustrations de pratiques déviantes totalement anticonstitutionnelles et portant donc la marque d’une déconstruction de l’Etat de droit ne manqueront pas comme si dessous illustrées :

Le Président du Faso nomme les magistrats et pourtant cette compétence est reconnue par la constitution au seul conseil supérieur de la magistrature.

Article 134 : «Le Conseil supérieur de la magistrature décide des nominations et des affectations des magistrats».

On peut comprendre qu’en réaction le commun des Burkinabè, cela dépassant son latin, ne donne ni de la voix ni du muscle.

Que par contre, nos éminents juristes, apôtres des droits de l’Homme et opposants constitués défenseurs de la légalité constitutionnelle, se calfeutrent derrière les murs du silence, c’est désespérant et symptomatique du déclin des valeurs morales, de l’éthique professionnelle et de l’Etat de droit.

Autre exemple, le conseil constitutionnel se mettant au dessus de la constitution dont elle est sensée en garantir l’intégrité, considère que la justice militaire (dépendante de l’exécutif, notamment par le cordon ombilical qui la lie au ministre de la défense.

Article 51 : «-La Police Judiciaire Militaire est exercée sous l’autorité du Ministre chargé de la Défense»), Peut ne pas être astreinte à certaines obligations constitutionnelles.

C’est le sens révoltant donné par cette incroyable décision en date du 20 mars 2018 qui suit, du conseil constitutionnel au sujet de l’article 134 suscité de la constitution, lequel en rappel donne compétence au CSM pour la nomination et l’affectation des magistrats : «le tribunal militaire est une juridiction spécifique; que les nominations et les affectations dans cette juridiction dérogent aux règles de droit communs; que ces nominations et affectations ne sont pas du ressort de compétence du conseil supérieur de la magistrature ; qu’il s’ensuit que les articles 14 et 18, alinéa 3, de la loi n’ 24l94lADP du 24 mai 1994 portant Code de Justice militaire, ensemble ses modificatifs, ne sont pas contraires à la Constitution».

Une violation cavalière tout à fait intolérable de la constitution, uniquement pour protéger le président du Faso par rapport à ses nominations, ainsi classées dans la hiérarchie des crimes par la constitution :

Article 166 : «La trahison de la Patrie et l’atteinte à la Constitution constituent les crimes les plus graves commis à l’encontre du peuple».

Cela encore une fois passe sans que le fond de l’eau n’en soit troublé.

Un dernier témoignage pour ne pas saturer les méninges, de mauvaises gouvernances sur la base de violations flagrantes de la Constitution, se trouve dans ce projet de loi modificatif du Code électoral. Un autre indubitable viol des dispositions de la constitution relatives cette fois ci au droit de suffrage et au droit des partis.

Atteinte d’abord au droit de suffrage selon l’article 33 précédemment cité au sujet de la loi Sy Cherif.

Violation encore et toujours du droit de vote selon les articles suivants:

Article 37 : «Le Président du Faso est élu au suffrage universel direct, égal et secret pour

Un mandat de cinq ans.

Il est rééligible une seule fois.

En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats de Président du Faso consécutivement ou par intermittence. »

Article 80 : «Les députés sont élus au suffrage universel direct, égal et secret. Ils exercent le pouvoir législatif.

Toute personne élue députée doit bénéficier, le cas échéant, d’un détachement ou d’une suspension de contrat selon le cas»

Sans ajouter d’autres articles d’instruments internationaux, prescrivant dans les mêmes termes le respect de l’universalité du suffrage, cette loi modificative abouti à priver, bien plus que lors des scrutins de 2015, des centaines de milliers de Burkinabè (de certaines régions occupées ou insécurisée), de leur droit de vote;

Ensuite, aux termes de la Constitution Article 13 : «Les partis et formations politiques se créent librement.

Ils concourent à l’animation de la vie politique, à l’information et à l’éducation du peuple ainsi qu’à l’expression du suffrage.

Ils mènent librement leurs activités dans le respect des lois.

Tous les partis ou formations politiques sont égaux en droits et en devoirs. Toutefois, ne sont pas autorisés les partis ou formations politiques tribalistes, régionalistes, confessionnels ou racistes».

Le pouvoir foulant aux pieds le droit des partis politiques, veut ignorer qu’ils sont tous des instruments de droit constitutionnel, ayant les mêmes droits et devoirs.

Il décide en effet dans son complot de coup d’Etat constitutionnel, de ne considérer et consulter que ceux qui ont des élus ou qui sont au CFOP.

Il peut ainsi prétendre qu’avec un dialogue politique restreint aux partis de la majorité présidentielle et à ceux du CFOP, il a une large majorité des acteurs Politiques qui adhèrent à son projet de modification du code électoral.

Une affirmation rejetée par un large consensus national qui avait montré sa préférence pour un dialogue national inclusif, postérieur à la réconciliation nationale.

Mais de toutes les façons une chose est de modifier le code électoral et une autre est de violer la constitution en le faisant.

Le protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie, les élections et la bonne gouvernance tempère certes son interdiction de toute modification du code à six (6) mois des élections, par l’obtention du consentement d’une large majorité des acteurs politiques, mais il n’autorise nul part que l’on viole la constitution à cet effet.

Aarticle 2 : «1. Aucune reforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques».

Cela est sans aucune ambiguïté à la lecture du texte (d’interprétation restrictive), par ailleurs repris ultérieurement dans des formulations identiques par l’article 28 EF du protocole portant amendements du statut de Malabo relatif à la création d’une cour de justice de l’UA.

Et d’ailleurs cette fameuse large majorité des acteurs politiques n’est pas acquise (en raison de ce que tous les partis légalement reconnus, comme relevé n’ont pas été pris en compte, mais aussi parce que les acteurs politiques, à s’en tenir à notre histoire politique et aux évolutions mondiales, ne sont pas réductibles aux seuls partis politiques). Et même si par impossible cela était, la CEDEAO ne saurait permettre que sur d’autres bases, des Etats violent leurs constitutions, en se prévalant de surcroit de son autorisation.

Elle a, encore une fois de plus donné une condition pour pouvoir modifier un code électoral six (6) mois avant les élections, mais elle n’a jamais répétons le, dit que cette condition permettait de violer allègrement des dispositions de la constitution.

Il y’a là une escroquerie au protocole additionnel, une interprétation abuse et frauduleuse de son exception.

Il faut le souligner en gras et le mettre en jonction avec la jurisprudence de la loi Sy Cherif.

Une décision qui a reconnu (dans un précédent pourtant de moindre gravité), que le processus électoral était vicié dés l’entame par l’exclusion, violatrice du droit de suffrage de responsables de l’ancien pouvoir, ayant soutenu la révision de l’article 37 pour assurer le renouvellement sans limite du mandat présidentiel.

Ce qui nous manque le plus contrairement à certains pays du même espace que nous, et qui subissent le même phénomène d’érosion de la démocratie, ce sont des hommes de Dieu, de droit, des opposants et défenseurs des droits de l’homme dans l’âme, des militaires républicains, non-politisés et «mercenarisés», qui acceptent le sacrifice de leurs vies et intérêts pour la sauvegarde du peuple.

En attendant l’éventuelle ultime issue de la révolution citoyenne comme dirait Mélenchon, on pourrait encore pourquoi pas, actionner la justice.

En national et devant le conseil constitutionnel, ce serait si non pour éviter de se voir opposer le non-respect de l’épuisement des recours internes, par pur acquit de conscience car sauf miracle, cette instance pareille à quasiment toutes celles de l’Afrique francophone, est si soumise au pouvoir qu’elle en est devenue, plus que pour le peuple, la voix et le bras armé.

Le choix des juridictions internationales, quoique le cout soit exorbitant, se révèle moins perdu d’avance.

Elles ont tendance, tant au niveau de la cour africaine des Droits de l’homme et des peuples, que de la cour de justice de la CEDEAO, à échapper par une administration de la justice plus indépendante et plus impartiale au discrédit, que connaissent les conférences des chefs d’Etat et les organisations régionales et continentales elles mêmes.

Mieux vaut cependant avoir plusieurs flèches dans son carquois.

Ainsi même si la position ultime adoptée par la France dans le dossier malien, n’est pas le signe d’une réorientation profonde de sa politique africaine dans un sens plus regardant, pour les gouvernances et pour les attentes des peuples, il faut dans le même temps multiplier les appels à la communauté internationale à repenser ses relations avec le continent.

Le vent qui vient de se lever au Mali et qui est porté par le peuple, n’est pas du genre à tomber de sitôt.

Si les pouvoirs nationaux et les organisations communautaires du continent, comme il fallait s’y attendre sont lents ou allergiques aux bonnes adaptations, ce n’est pas certain qu’il en soit de même en international.

L’Iman Dicko invité de RFI le jour du coup d’Etat dans son pays, donnant des gages de laïcité, de non détestation de la France, de non appel à la démission (ou au maintient), de IBK, n’aura pas manqué ses effets au plan international. Ce n’est pas pour rien que la France, l’Allemagne et bien d’autres puissances, contrairement aux spéculations, ont fait profil bas après le renversement de IBK.

Ensuite et surtout il faut accompagner toutes ces actions par la recherche, et la mise en place de digues qui empêcheront la régénération des mêmes pratiques avec le retour de gouvernants dévoyés, et vassaux de seigneurs étrangers prêts à leurs accorder les mêmes protections, contre les mêmes allégeances de toujours.

Ça ne sera pas la moindre des diligences quand on observe les résistances au niveau de la CEDEAO et des présidents qui ont quelque chose à préserver ou à se reprocher, mais c’est la garantie pour engager des réformes structurelles pérennes.

Disons pour terminer que l’espoir n’est pas perdu après ce sombre tableau, devenu de notoriété public. Même en dehors de tout cadre organisé et structuré, il y’a des femmes et des hommes d’opinions politiques et de croyances diverses, des regroupements comme l’Appel de Manega, d’autres de la diaspora qui osent de plus en plus se différencier de tous ces acteurs politiques, qui se sont activement ou passivement inscrits ( quitte à marcher sur la constitution ), dans la dynamique peu élogieuse de tenue coûte que coûte les élections, malgré l’insécurité et le deuil national ininterrompu que nous vivons.

Ces femmes, ces hommes et ces organisations sont de gauche, de droite ou neutres ils sont membres de la majorité, de l’opposition ou indépendants.

Voilà l’espoir vivant qui atteste d’une inextinguible empathie nationale et de l’insubmersibilité de la nation.

Me Hermann Yameogo