Salif Tiemtoré, Directeur des Douanes à la CEDEAO : << Que Bobo- Dioulasso soit érigée en une zone économique spéciale >>

Après nous avoir fait découvrir sa jeunesse à Bobo dans notre édition du mardi 13 avril 2021, le « Kôrô Salif TIEMTORÉ » s’est entretenu avec notre équipe sur les stratégies pour une ville de Bobo attractive. Directeur des douanes à la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), il partage avec nous ses réflexions et ses idées pour une relance économique, industrielle et touristique de Bobo. Suivons-le !

Stratégie de développement industriel du Burkina Faso et de relance économique de Bobo
Un peu d’histoire. Bobo-Dioulasso a été pendant longtemps à la fois une ville carrefour et commerçante bien avant l’arrivée du colonisateur français. Elle était jadis fréquentée par des commerçants issus de l’actuel Mali, de la Guinée, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et même du Niger. S’échangeaient à Bobo des produits comme le caoutchouc, le coton, la noix de cola, le sel, le poisson sec, le bétail, etc. La ville avait donc une position stratégique et le colonisateur français a vite intégré cet atout dans sa politique d’exploitation économique de l’Afrique de l’Ouest. Les comptoirs commerciaux (Société Commerciale de l’Afrique de l’Ouest-SCOA, La Compagnie Française de l’Afrique de l’Ouest –CFAO) ouvrirent très rapidement des succursales dans les années 1920.

Malgré la survenue de la première guerre mondiale et la crise économique de 1929, les travaux pour la pose des chemins de fer ne s’arrêtèrent pas et le train siffla à Bobo-Dioulasso en 1934. Voulant faire de Bobo un grand centre commercial, le colonisateur entreprit de construire à Bobo, un grand marché central dans les années 1940. Le marché central fut inauguré en 1952. Aussi, le camp militaire de Bobo était pendant la période coloniale le camp le plus grand de l’Afrique occidentale française (AOF) et son hôpital militaire (l’actuel Centre hospitalier universitaire Sourö Sanou) le grand Centre de soins du Burkina Faso.
Ce rappel pour vous dire que Bobo est au centre de l’Afrique de l’Ouest et était selon certains auteurs dans les années 1940, la deuxième ville de l’Afrique de l’Ouest française juste derrière Dakar. La Chambre de Commerce de Bobo-Dioulasso a été créée le 11 juin 1948, preuve du dynamisme des activités commerciales dans la cité.
Ce n’est pas un hasard si on a enregistré à Bobo l’installation des premières unités industrielles de la Haute Volta. La CITEC (Comptoir des industries Textiles et Cotonnières) en 1941 pour produire de l’huile d’arachide, de coton, du beurre de karité et du savon de ménage. La Compagnie Française pour le Développement des fibres Textiles (CFDT) pour l’égrenage de coton. Il s’en est suivi la mise en place d’autres unités industrielles. Oui, Bobo-Dioulasso était un véritable centre d’affaires où les commerçants de tout le Burkina et même au-delà, ceux des pays limitrophes venaient s’approvisionner ou vendre leurs productions.

A priori, le facteur de production « eau » n’est pas un problème. Selon certaines sources scientifiques, la zone de Bobo-Dioulasso constituerait le deuxième bassin hydrographique de l’Afrique de l’Ouest juste derrière le bassin du Fouta Djalon en Guinée. Cette position est renforcée aujourd’hui avec la construction du barrage de Samendéni.

Mon avis est qu’il ne faut pas réinventer la roue. Il faut s’inscrire dans cette dynamique qui est antérieure à la période coloniale : faire de Bobo-Dioulasso un carrefour commercial et un centre de production industrielle dont le rayonnement ira au-delà du Burkina Faso.
Enfin, il y a la proximité de certaines grandes villes des pays voisins. Aussi, Sikasso la 2ème ville du Mali n’est-elle pas plus proche de Bobo-Dioulasso (moins de 200 km) que la capitale Bamako (plus de 400 km). Il en est de même pour toute la partie Ouest du Mali, du Nord de la Côte d’Ivoire, notamment les villes de Ferkessédougou et de Korhogo qui sont plus proches de Bobo que d’Abidjan. Le triangle Sikasso-Korhogo-Bobo-Dioulasso, est un espace économique et un marché potentiel qui peut être exploité.

Comment attirer les investisseurs au Burkina Faso et à Bobo-Dioulasso ?
A mon avis, les pouvoirs publics doivent s’y pencher très rapidement. Prenant en compte les différents plans et stratégies de relance déjà élaborés, ils doivent entreprendre des actions fortes afin de créer la synergie entre les forces évoquées ci-dessus. A cet effet, une implication des acteurs du secteur privé, des autorités locales pour conduire un plaidoyer soutenu auprès des autorités centrales est nécessaire. Techniquement, je suggèrerais que la zone de Bobo-Dioulasso soit érigée en une zone économique spéciale (ZES).Les avantages que va lui conférer ce statut de ZES sont un atout majeur pour un investisseur et pour la relance des activités entrepreneuriales c’est-à-dire économiques, commerciales, industrielles et culturelles.

L’érection de la zone de Bobo en ZES pourrait être consacrée par une loi qui accorderait un régime dérogatoire à tout investisseur potentiel. De manière concrète, cela reviendrait à alléger le coût des facteurs, l’énergie principalement, en subventionnant le coût du kilowattheure aux industries. Des mesures à caractère fiscal et douanier peuvent être envisagées pour attirer les entreprises. Enfin, des soutiens d’ordre administratif et institutionnel (gratuité des terrains pour les entreprises, facilité dans les procédures administratives d’installation, simplification de la législation du travail, etc.) pourraient être envisagés pour les investisseurs potentiels.
La ZES pourrait faire de Bobo une véritable destination pour les compagnies aériennes et booster l’aéroport qui est actuellement en léthargie. De même que la création d’un « silicon vallée » à Bobo-Dioulasso destinée à la production de composants électroniques, d’ordinateurs, de téléphones portables et d’énergie renouvelable. En outre, la création d’une fonction de délégué interministériel chargé d’attirer les investisseurs de la diaspora burkinabè viendrait accompagner tout cela.

Autres pistes pour le développement de Bobo-Dioulasso ?
Le site touristique le plus emblématique de la ville de Bobo reste pour moi, la grande mosquée de Dioulassoba. Cette mosquée qui a traversé le temps est devenue le monument que les touristes visitent en premier lieu lorsqu’ils arrivent à Bobo. Au-delà de la mosquée, c’est tout l’environnement du village de Dioulassoba qui doit être aménagé pour accueillir les touristes.

Je suggère que la zone soit délimitée et clôturée. La rue Sakidi Sanon devrait être transformée en rue piétonne où des kiosques pourraient être aménagés tout au long pour abriter des artisans. Le village pourrait être aménagé de manière à garder les constructions à l’ancienne avec toutefois un accent sur les questions de traitement, d’assainissement et d’écoulement des eaux. L’idée ici est de permettre des visites guidées à l’intérieur du village et des environs, le tout intégré dans un circuit touristique bien étudié.

Beaucoup d’activités peuvent être envisagées sur ce site s’il était aménagé et pourraient procurer des ressources financières importantes aux communautés, à la commune et au ministère du tourisme et participer à la création de nombreux emplois (guides, artisans, photographes, vendeurs de gadgets, etc.).
Bobo regorge toujours dans le centre-ville de vieilles bâtisses coloniales d’une beauté architecturale indéniable qui ont besoin d’être réhabilitées et valorisées comme la Gare SITARAIL sur la place TIEFO Amoro.
Il y a l’aménagement du marigot Houet et ses environs, pour en faire des lieux de villégiature pour les Bobolais eux-mêmes et les visiteurs. Un système de retenue d’eau pourrait permettre d’éviter son assèchement et augmenter la fraîcheur de la zone.

Une idée qui me tient à cœur c’est la construction, si c’est encore possible, sur le site de la mairie centrale qui est la partie la plus haute de la ville, d’un imposant monument inspiré des armoiries de la ville de Bobo, les silures. A partir de ce monument qui aura une tour, on peut visionner la ville de Bobo-Dioulasso et même au-delà. Le paysage autour de Bobo est également magnifique. Voilà autant de merveilles qui attireront beaucoup de visiteurs à Bobo-Dioulasso. Toutefois, la diaspora burkinabè et bobolaise est invitée à investir dans les Petites et Moyennes Entreprises (PME) pour réduire le chômage des jeunes.

Une panacée pour renforcer la paix, la sécurité et la cohésion nationale ?
Pour Salifou Tiemtoré, le Président du Faso a fait le bon choix de créer un ministère de la réconciliation nationale. L’erreur serait de faire la politique de l’autruche ; il faut traiter les problèmes avant qu’ils ne soient hors de contrôle. Il n’y a pas de solution miracle ; il faut consolider nos acquis. Nous avons des valeurs sociales comme la parenté à plaisanterie qui fonde une tradition de tolérance et de partage. Nous avons aussi des autorités traditionnelles et religieuses qui sont très respectées par les populations. Ce sont autant de ressorts qui pourraient, s’ils sont utilisés à bon escient, consolider la cohésion sociale et le vivre-ensemble.

Le Burkina Faso est un Etat unitaire et laïc. Les oppositions qu’on a au Burkina sont politiques, rarement tribales ou ethniques. Il faut ici rendre hommage aux pères de l’indépendance qui ont réussi à consacrer cette réalité. Travaillons à consolider cet acquis. Ma suggestion pour la paix et la cohésion sociale c’est de s’appuyer sur ces valeurs sociétales qui sont le ciment de la vie en communauté. Il serait judicieux à mon avis, de faire jouer un rôle plus important aux autorités traditionnelles et religieuses dans la gestion des crises et des conflits communautaires en respectant ou en adaptant les lois de la République à cet effet.

Kibidoué Eric BAYALA