Alain Traoré, l’ex-ministre de la Communication du dernier gouvernement de Blaise Compaoré nous a reçu chez lui à domicile à Kiribina, localité située à la sortie Ouest de Banfora. Avec lui, nous avons échangé sur plusieurs questions. Voici ce qu’Alain Édouard Traoré, membre actif du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et membre du Haut-conseil du même parti, juriste de formation, diplomate de carrière et agent du ministère des Affaires étrangères nous a dit.
Après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, vous avez disparu des radars. Qu’est-ce qui a expliqué ce silence après insurrection ?
Après l’insurrection, on a pris naturellement acte de l’état des choses et de la situation. Une quinzaine de jours après, moi je suis allé aux Affaires étrangères prendre service car c’est mon administration. On m’a donné un certificat de prise de service et depuis ce jour, je n’ai pas eu de bureau et je n’ai pas eu quelque chose à faire dans cette administration. Depuis novembre 2014, je suis dans l’attente. Et trois mois après, j’ai décidé d’aller étudier. Je me suis inscrit dans une université privée au Ghana en licence d’anglais. Je suis resté là-bas durant sept mois pour suivre des cours intensifs.
En juin 2015, j’ai fini et je suis rentré au Burkina. A quelques jours des élections de 2015, j’ai été convoqué à la Haute cour de justice. J’y suis allé pour répondre et j’ai été déferré à la MACO ce jour-là. Je suis resté à la MACO jusqu’en avril 2016. Je suis sorti et je suis en attente d’un jugement. Je ne sais pas le pourquoi ni le comment ? J’ai toujours dit que j’ai confiance à la justice de mon pays. En tant que citoyen, j’attends pour répondre de mes actes s’il y a lieu. J’ai foi en Dieu, j’ai confiance en moi-même. Je sais ce que j’ai fait et ce que je n’ai pas fait. Il n’y a pas des raisons de m’inquiéter.
Êtes-vous allé en exil ?
Moi, je ne suis jamais allé en exil, jamais ! En 2020 j’ai été sollicité par mon parti. Nous sommes des citoyens de plein droit. Je me suis engagé, j’ai donné mon accord au parti pour la construction du pays. Je n’ai jamais eu du chagrin, de la tristesse, de la frustration dans ma vie. Au contraire, j’ai ri de la bêtise humaine. Je suis un homme de foi. J’ai la conviction que nous et nos biens appartenaient tous à Dieu, c’est le juge suprême. Personne ne pourra jamais enlever le sourire que j’ai sur mon visage. Je reste droit dans mes bottes avec la certitude de ce que je suis et de ma volonté à vivre.
Quelle lecture faites-vous de la situation politique nationale ?
La situation politique nationale est simple. Il y avait le jour, puis le soleil est tombé. Le Burkina est tombé dans la pénombre et est en train de s’obscurcir davantage. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la réalité. Notre gouvernement à l’époque a laissé un seul Burkina, intact, intègre dans ses frontières, intègre dans son intégrité territoriale. Aujourd’hui, cette intégrité territoriale est blessée de manière très profonde. Et tout le monde le sait, les populations le savent. Nous vivons aujourd’hui avec plusieurs centaines de milliers de déplacés internes. Dans le système des Nations unies aujourd’hui, nous avons le pays qui a le plus grand nombre de déplacés internes. Il y a aussi les exilés quel qu’en soit leur statut, leur nature. On ne peut pas préserver la paix et la quiétude dans un contexte pareil !
Parlons du 11-Décembre 2020 qui sera célébré à Banfora. Pensez-vous que cette fête sera à la hauteur des attentes de la population ?
Pas du tout ! Je suis désolé de le dire. Je n’arrive même pas à comprendre pourquoi les autorités de la région acceptent qu’on ne la reporte pas ! On l’a reportée à l’époque à Koudougou, on l’a reportée à Kaya. Quand on n’est pas prêt, on ne force pas. Depuis que la maladie du Covid-19 a commencé à gêner les perspectives politiques, économiques et sociales dans le monde, j’ai dit que les ressortissants des Cascades doivent envoyer les forces vives de la région voir le Président Roch Kaboré et demander le report. Aujourd’hui, le constat est amer et désolant sur tous les plans. Vous allez faire le 11-Décembre avec quoi ? Aujourd’hui il n’y a rien sur le terrain. Je suis désolé et c’est un appel. Le conférencier Mélégué Traoré a dit à la conférence inaugurale que ce qui serait bien, c’est de reporter. Il faut que les gens sortent de leurs bureaux pour comprendre certaines choses sur le terrain. Il faut objectivement reporter cette fête. On va avoir une fête du 11-Décembre totalement au rabais. Voilà ce que je pense.
Vous revenez pour être candidat aux législatives dans votre fief, la Comoé. Quel est le visage actuel du CDP dans la Comoé ?
Tout a été mis en œuvre pour détruire le CDP depuis 2014. Personne ne peut le nier. Fermer des gens sur la base de choses que personne ne peut prouver. On a sorti des lois pour interdire le CDP et interdire aux candidats du CDP de se présenter aux élections de 2015. On nous a fait voir de toutes les couleurs. Mais, on est resté CDP et je puis le dire, il n’y a pas deux partis comme le CDP au Burkina. Sinon, tout ce que nous avons subi allait nous détruire. Malgré tout, le CDP se porte bien, et travaille à gagner les élections du 22 novembre à venir. C’est fondamental pour nous. Nous avons foi à nos forces sur le terrain, parce que nous avons géré le pouvoir d’État et six ans après notre départ, les populations ont vu. Elles ont fait deux marchés, elles savent maintenant quel est le meilleur marché. Qui a géré ce pays de manière pondérée, qui a géré ce pays avec ouverture, qui a géré ce pays avec volonté d’unir l’ensemble des Burkinabè ? Et qui a géré ce pays avec haine, mensonge, corruption, accusations gratuites ? Aujourd’hui, j’avoue que les Burkinabè font la part des choses. Et heureusement, ce sont ces bilans que les populations mettent en avant. Nous nous sommes là, on va se battre vaille que vaille, nous n’avons pas peur de nos adversaires politiques. Nous vivons pour que la mayonnaise reprenne. Nous n’avons pas les moyens des autres, mais nous allons nous battre pour gagner ces élections à venir.
Certains disent que le CDP sera le futur chef de file de l’opposition après les élections du 22 novembre. Qu’en pensez-vous ?
Quel chef de file de quelle opposition ? C’est sur la base de quelle analyse politique cela a été dit ? Non ! Ce qui s’est passé en 2015, c’est une forfaiture. On ne peut pas avoir un pouvoir d’exception quasi-militaire, empêcher tout le monde de se présenter et dire après qu’ils ont été démocratiquement élus. Je regrette ! Nous avons nos faiblesses, nous les reconnaissions. J’ai foi en l’honneur du citoyen. C’est la démocratie, c’est la voix des urnes et je m’en tiendrai à ça ; quel que soit le résultat.
Avez-vous des nouvelles de l’ex-président Compaoré ?
J’ai reçu une lettre du président Compaoré qui date du 16 septembre passé. Il se porte bien. Depuis qu’il est allé en Côte d’Ivoire, je n’y suis jamais allé.
Que pensez-vous du ministère de la Communication actuel ?
Il fait de son mieux, ce ministère. L’actuel ministre de la Communication est un petit frère de quartier, on a fait le catéchisme ensemble dès notre bas âge. J’ai du respect pour ce qu’il fait comme travail. Dans un contexte national global où ce n’est pas évident, son action n’est pas évidente non plus. Ceux qui travaillent dans le domaine peuvent mieux apprécier. Là où je suis blessé, c’est lorsqu’il démantèle des choses de valeur. Chaque région doit avoir les mêmes potentialités sur tous les plans. Je trouve cela inconcevable. Dans le secteur de la communication, on avait installé des RTB2 dans toutes les régions pour valoriser les régions. Un an après mon départ, voilà le constat. Il n’y a pas une région de seconde zone au Burkina.
Votre mot de fin, Monsieur Traoré ?
Pendant l’insurrection, mes parents et ma fille ont tous été blessés et tous nos biens sont partis en fumée. Détruisez, mais je vais rebâtir. Alain Édouard Traoré est toujours le même. Je suis exactement la même personne, je n’ai pas changé. «L’homme n’est ni ange ni bête», comme disent les philosophes. Changer un gouvernement et aller brûler les biens des gens, je ne vois pas un lien. La reconstruction de mes bâtiments me donne plus de force. Dans la vie, il n’y a que Dieu qui me fasse peur, sinon personne.
Entretien réalisé par
Bésséri Frédéric OUATTARA