Covid-19 et fermeture des frontières : Le métier de passeur fait recettes à Cinkansé

Les frontières terrestres entre les Etats de la sous-région ouest-africaine sont officiellement fermées pour cause de maladie à Coronavirus. Pourtant, les populations parviennent à circuler, presqu’allègrement, d’un pays à un autre. Nous avons suivi un passeur à Cinkansé pour voir et comprendre comment il franchit la frontière avec ses « clients » entre le Burkina Faso et le Togo.

Cinkansé, ville frontière entre le Burkina Faso et le Togo, vit très mal la fermeture des frontières. Le commerce, le transport et toutes les autres activités sont au ralenti. Divisée en deux par la frontière, elle sépare le Burkina Faso du Togo. Donnant ainsi Cinkansé – Burkina et Cinkansé – Togo. Deux peuples qui vivent ensemble, mais séparés par une frontière artificielle du colon. Bref !

Dans le contexte particulier de la Covid-19, le métier de passeur s’est développé davantage. Il consiste là-bas à faire traverser la frontière aux passagers des bus en provenance du Burkina Faso ou du Togo. Tout est parti du Togo où les conducteurs des moto-taxis, communément appelés «Zemidjan», en plus du transport traditionnel des passagers à l’intérieur de la ville ont eu l’idée de faire traverser les passagers, devenant ainsi des passeurs. Progressivement, l’initiative a déteint sur la portion burkinabè de Cinkansé. Où cette activité s’est bien développée au point qu’au cours de notre séjour, nous n’avons aperçu aucune voiture-taxi. Les conducteurs de motos sont les maîtres du trafic urbain dans cette ville.

«Monsieur, Taxi s’il te plait ?»

Ce 18 août 2021, alors que nous arrivions à Cinkansé – Burkina, nous avons été surpris en trouvant abondamment de monde amassé devant la gare de la compagnie que nous avons empruntée. Dès la descente du bus, un homme nous accoste et demande : « Monsieur, Taxi s’il te plait ? ». « Non, pas pour le moment », lui ai-je rétorqué. Renseignements pris auprès d’un agent de cette gare, j’apprends « qu’avec la fermeture des frontières, ce sont eux qui aident les voyageurs à traverser pour se rendre soit au Togo ou venir Burkina ».

« Ça m’intéresse de faire un sujet sur leur travail. Pouvez-vous me mettre en contact avec un passeur pour que je puisse le suivre », ai-je instantanément demandé à mon interlocuteur. Ainsi le contact est pris avec « IB ». Un jeune passeur qui a développé beaucoup d’affinités avec les responsables de la compagnie de transport que nous avons empruntée au point qu’on le considère comme le « bon petit » du chef de gare.

Avant d’embarquer, il fixe les conditions : « Nous faisons la traversée à 2000 F CFA l’aller et la même somme pour le retour. Mais comme c’est pour faire un travail, tu donneras ce que tu peux ». En réalité, à Cinkansé, la profession de passeur n’est pas nouvelle. Elle existe depuis belle lurette. Mais, la libre circulation des personnes et des biens étant, ce métier ne pouvait prospérer entre les Etats ouest-africains. Malheureusement ou heureusement, la fermeture des frontières du fait du Covid-19 l’a ressuscité parce qu’il y a la clientèle.

Pour ce qui concerne IB, voilà comment il est devenu passeur. « Il y a de cela quelques mois, mon grand-frère a acquis une nouvelle moto et m’a passé l’ancienne pour que je puisse me débrouiller avec. Et comme je connais la ville et la frontière, et voyant les taxi-motos convoyer des clients pour traverser la frontière, j’ai d’abord suivi une fois pour voir comment ça se passe. Un jour, je suis venu à la gare, j’ai eu une cliente que j’ai fait traverser pour aller au du Togo. Depuis ce jour, je suis devenu passeur ».

Pour exercer le métier de passeur, deux conditions sont nécessaires : avoir une moto et bien connaitre les sentiers à la frontière entre les deux pays. Il faut aussi avoir des relations dans les compagnies de transport. Du côté du Burkina, avons-nous appris, certaines compagnies ont même mis en place un système bien huilé qui consiste à s’entendre avec les passeurs qui leur apportent directement des clients. Une compagnie de la place proposerait même 1000 FCFA sur chaque client apporté par un passeur.

La traversée

Cinkansé, est traversée par une rivière qui fait office de frontière. Cependant, en plus de la frontière officielle à l’intérieur de la ville, il y a un pont qui permet de relier Cinkansé – Burkina à Cinkansé – Togo. Et c’est cette voie que les passeurs empruntent souvent. Ils connaissent bien les horaires d’arrivée et de départ de toutes les compagnies de voyage installées de part et d’autre dans ces deux villes à la fois jumelles et homonymes. Un chef de gare d’une compagnie de transport qui a voulu garder l’anonymat, explique. «Avec les passeurs c’est un partenariat gagnant-gagnant. Ils nous trouvent des clients et nous leur apportons aussi des clients. Nous ne pouvons pas traverser les frontières avec les clients, mais eux arrivent à le faire ».

Ainsi, au moment opportun, les passeurs sont devant les compagnies de transport, attendant les clients. Le coût de la traversée est de 2000 FCFA mais quand le client à des bagages, il est majoré en fonction. Mais, le passeur ne s’en sort qu’avec 1500 FCFA sur les 2000 FCFA. Les 500 FCFA restant servent à payer le droit de passage à un poste de police togolais de fortune, englouti dans les concessions et situé sur le passage des passeurs. Dans ce poste on y trouve généralement quelques agents de police togolais qui profitent beaucoup du passage des populations du Burkina et du Togo. Une fois la frontière traversée, le client est libre de poursuivre son voyage là où il veut.

Madame Simporé, une commerçante qui fait la navette entre le Burkina et le Togo pour acheter et vendre des mèches témoigne : « Avec le Covid-19 et la fermeture des frontières, cela jouait beaucoup sur notre activité. Avec les passeurs on arrive à continuer notre activité. J’arrive à me rendre au Togo pour payer les mèches et revenir les revendre au Burkina ».

Boukaré, le facilitateur

On l’appelle Boukaré, c’est lui qui joue au facilitateur au poste de police togolais de fortune pour les passeurs. Car malgré qu’ils sont obligés d’emprunter des routes au milieu des concessions pour franchir la frontière, les passeurs n’échappent pas aux tracasseries policières. Pour rejoindre l’un ou l’autre pays, il faut faire une halte à ce poste de police de fortune. Avec ce qui s’y passe, on se pose la question de savoir si réellement les autorités togolaises sont au courant de son existence.

Assis sous un nimier, les policiers ne s’occupent vraiment pas de ce qui se passe sur la voie. Le contrôle et les rackets, ils laissent le soin au facilitateur Boukaré de les faire. Boukaré est un civil burkinabè qui travaille avec les policiers togolais pour laisser passer ceux qui le veulent sur le territoire togolais ou qui voudraient entrer au Burkina Faso. A ce poste de police, il n’y a pas de formalités particulières. Avec notre passeur IB, Boukaré a des accointances. Malgré cette relation, il n’a pas voulu se prêter à nos questions.

C’est donc dire qu’on peut traverser la frontière sans contrôle pour se retrouver dans l’un ou l’autre pays avec tous les risques que cela peut comporter. Notre passeur nous dira que ce même Boukaré, facilitateur qui joue au policier, a une fois été la cible de bandits qui ont tiré sur lui. Heureusement, il s’en est bien sorti.

Lorsque Boukaré récupère les frais de passage, il donne l’autorisation au passeur de poursuivre son chemin avec son client. Au retour il s’assure que c’est le même client qui est de retour avec le passeur, au cas contraire il doit encore payer 500 FCFA. C’est le quotidien des passeurs à la frontière entre le Burkina Faso et le Togo. Avec le Covid-19 et l’insécurité grandissante dans la sous-région, la porosité de cette frontière peut constituer un véritable danger pour les deux pays. Ce qui interpelle les autorités des deux pays.

Firmin OUATTARA

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