Comme s’il écrivait ses mémoires sur le coton, François Traoré, ancien président de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (dont il est l’un des fondateurs) lève un coin du voile sur ce qu’il sait du coton au Burkina Faso. Toute une histoire.
Le mardi 28 février 2023, j’ai été invité par la direction de la SOFITEX à une rencontre qu’elle a organisée avec la presse. Selon l’information que j’ai reçue, beaucoup de femmes et d’hommes de presse et de la communication étant jeunes, ils n’ont pas assez d’informations sur la filière coton. C’est dans ce sens que la direction a trouvé nécessaire de les inviter à une rencontre d’immersion. Plusieurs cadres de la société cotonnière et des partenaires comme moi, étaient invités. Selon le directeur général de la SOFITEX, vu le temps que j’ai fait à la tête de l’Union nationale des producteurs de coton (UNPCB) de 1998 à 2010, la jeunesse a besoin de connaître le passé et a aussi besoin de mes expériences que j’ai eues dans ce passé pour contribuer à l’émergence de la filière coton.
C’est donc avec plaisir que j’ai partagé l’histoire de mon contact avec le coton avec ces jeunes.
Je suis originaire de la province de la Kossi (Région de la Boucle du Mouhoun) et fils de migrants producteurs d’arachide au Sénégal. Nous sommes rentrés au Burkina Faso en 1973. J’avais 20 ans et j’étais le chef de famille. Très tôt, l’agriculture était pour moi un métier dans lequel je tenais à m’épanouir. Il m’arrivait alors de faire 7 hectares d’arachide. Dans la Kossi à l’époque, cela était extraordinaire. Nous avons bien récolté mais mal vendu car le sac coûtait 900 F CFA. J’ai trouvé que cela ne faisait pas mon affaire. Sur la base des informations que je recevais sur le coton, j’ai convaincu la famille à aller dans cette zone cotonnière notamment dans la province des Banwa. Le premier agent coton avec lequel j’ai travaillé dans cette zone cotonnière s’appelait Lossani SERE. J’avais un cheval et du matériel agricole. Au cours de la première campagne, j’ai eu un problème de surface et avec seulement deux hectares de coton, j’ai produit 6 tonnes 300 kg. La valeur monétaire de cette production dépassait largement la valeur de mon arachide de 7 hectares que j’avais produite dans mon village à cette époque. C’était en 1979. La deuxième année, avec 4 hectares, j’ai produit 12 tonnes. Dès les années 1980-1981, je me suis retrouvé président d’un Groupement villageois (GV). A l’époque, c’était la règle « un village, un groupement » qui était promue. En gérant bien ce groupement, nous avons construit une école primaire en dur sur fonds propres en 1990. Cette école existe toujours.
Dans notre famille, nous avons acquis notre premier tracteur en 1986 en payant une avance à la Caisse nationale de crédit agricole (CNCA) et nous avions 6 annuités à payer. Ces tracteurs étaient vendus par la SOFITEX. Nos annuités ont été payées correctement sans report. La SOFITEX et la CNCA doivent en avoir des traces. Le deuxième tracteur, nous l’avons acquis sur fonds propres également en 1991. Dans la gestion du groupement villageois, j’avais comme objectif premier de bien gérer les intrants et conscientiser les producteurs à respecter les itinéraires techniques en se disant la vérité. Ce groupement n’a donc jamais eu de problèmes de dette avec la SOFITEX ni avec la CNCA. Mais les producteurs de coton s’épanouissaient grâce aux revenus de leur production cotonnière.
L’esprit d’évoluer dans l’organisation du monde paysan m’est venu quand j’ai fait le constat suivant : je voyais certains paysans qui avaient eu leurs tracteurs avant moi, d’autres après moi, se faire retirer leurs tracteurs parce qu’ils n’arrivaient pas à payer leurs dettes de tracteur. Ces dettes étaient individuelles pendant que leur coton était vendu dans les groupements villageois. Comme la majorité de ces groupements villageois étaient mal gérés avec la caution solidaire, le coton du tractoriste servait à payer la dette des mauvais producteurs. J’ai donc pris l’initiative de faire à mes frais, des démarches vis-à-vis de la SOFITEX qui avait vendu les tracteurs à ces paysans et qui faisait un suivi technique individuel avec ces paysans. Je partais donc avec ma moto à Bobo pour leur dire que ce n’est pas normal que ces tractoristes supportent la mauvaise gestion des groupements. C’est ainsi que j’ai fini par faire une proposition au service motorisation. La proposition était de faire quitter les paysans motorisés des groupements villageois en leur faisant créer des Groupements de paysans motorisés (GPM). Comme ces paysans motorisés étaient à l’agonie, je leur expliquais que le Groupement de paysans motorisés pouvait les sauver s’ils entretenaient une sincérité mutuelle entre eux. J’ai été compris par la motorisation SOFITEX. A leur tour, eux aussi ont été compris par les paysans motorisés qui ont trouver une solution à leur problème. Là également, les traces existent. Les paysans et les techniciens qui collaboraient se rappellent bien, car beaucoup sont vivants.
Après avoir résolu ce problème des paysans motorisés, le problème de la mauvaise gestion des groupements villageois était toujours là et c’est toute la filière qui allait vers l’agonie. J’ai continué les courses en allant faire des propositions aux producteurs et à la société cotonnière, car il fallait sauver la filière coton et sauver les producteurs. Les paysans motorisés n’étaient pas nombreux par groupe. Je rappelle qu’ils ont rarement dépassé 10 personnes. Mais malgré la taille de leur crédit, leur prise de conscience dans la gestion de la caution solidaire et leur exemple de gestion avec un nombre réduit de membres nous a servi d’exemple pour repenser les groupements. Entre temps, il y’a eu des crises parasitaires qui nous mettaient en conflit avec la société cotonnière SOFITEX. Elles ont aussi aggravé l’endettement dans les groupements. Pour parvenir à des solutions au bonheur de tous les producteurs, il y’a eu plusieurs échanges entre producteurs d’une part, et plusieurs autres entre producteurs et SOFITEX d’autres part. Nous nous sommes donnés comme objectif la résolution définitive du problème. Cette volonté que nous avions a convaincu le directeur général de la SOFITEX à l’époque, Monsieur Célestin TIENDREBEOGO qui a financé une mission pour que nous allions dans d’autres pays pour s’enquérir de leurs expériences. Nous étions 04 paysans plus 01 cadre de la SOFITEX. Nous avons fait le Bénin, le Mali et la Côte d’Ivoire. Après cette sortie, nous avons eu la conviction que la mauvaise gestion de la caution solidaire était un des problèmes majeurs à résoudre et il fallait innover. C’est cela qui nous a amenés à faire la proposition de créer des Groupements de producteurs de coton (GPC). Vu l’expérience qu’on avait avec les paysans motorisés, le nombre des membres du GPC devait être compris entre 15 et 50 personnes. Les cotonculteurs devraient se regrouper par affinité en acceptant de se dire la vérité avec un système de contrôle interne. Alors qu’avec les Groupements villageois, il y’avait souvent près de 500 personnes dans un village, certains ne produisaient même pas de coton mais se donnaient le droit de prendre à crédit les intrants coton.
La direction de la SOFITEX à l’époque a accepté cette proposition et nous a, par la suite, accompagnés financièrement pour une sensibilisation nationale de tous les producteurs de coton. Elle avait aussi financé des émissions dans les médias. Beaucoup de gens se rappellent de nos passages sur la télévision nationale. Nous avons par la suite continué cette structuration en mettant en place des Unions départementales des producteurs de coton (UDPC), puis des Unions provinciales (UPPC) et l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina Faso (UNPCB) en avril 1998. Les unions intermédiaires devaient contribuer à résoudre les problèmes entre les GPC et aussi entre les démembrements de la société SOFITEX et de la CNCA (Banque), que les GPC n’arrivaient pas à résoudre.
Le processus a pris près de deux ans pour arriver à maturité. Mais nous avions trouvé que ça devait continuer. Pour nous, l’Union nationale devrait être désormais l’interlocuteur des producteurs face à la SOFITEX et à tous les partenaires de la filière. Tout doit désormais être discuté avec nous et ce sera la seule condition pour maintenir la filière et la faire avancer. L’UNPCB avait comme devise la « responsabilisation, la professionnalisation et l’autonomisation ». Les producteurs de coton étaient aussi les meilleurs producteurs de céréales et particulièrement le maïs. La semence de ce maïs nous venait de la ferme de Boni, appartenant à SOFITEX. La rotation coton-céréales était recommandée par la recherche pour maintenir la fertilité du sol. Le coton a un système racinaire pivotant pendant que les céréales ont un système racinaire fasciculé. Vous comprendrez que la production du coton a contribué à augmenter celle du maïs. La bonne structuration des producteurs de coton et de la société a amené le Burkina Faso à être premier producteur de coton avec 713 000 tonnes de coton fibre à partir des années 2004-2005 et cinquième exportateur mondial de coton fibre.
Je ne prétends pas me rappeler de tout ce qui s’est passé mais je sais que quand il y’a une bonne structuration et qu’on se dit la vérité, on peut faire un miracle. Et c’est la nation qui gagne car autant la production du coton avait augmenté, celle du maïs également avait augmenté. Je caricature avec cette image en disant que pour fabriquer une voiture, le moteur peut venir d’un pays, la coque d’un autre pays, les pneus et les batteries, d’ailleurs, … C’est la même chose dans l’Agriculture. Il faut tout simplement que dans cette chaîne, qu’il y ait pas du tout du mensonge. Et que chacun joue correctement son rôle au bon moment. En économie, le mensonge peut enrichir un individu mais va inévitablement rendre pauvre la population.
Cela fait plusieurs années que la filière coton burkinabè a des difficultés. C’est donc normal que nous rappelons comment nous avions fait à l’époque pour être au sommet. Je vais rappeler ici quelques questions posées par la presse. Est-ce que la structure UNPCB n’a pas été politisée par la suite ? Est-ce que les différentes structures ont eu le courage de faire le diagnostic de ce qui va et ce qui ne va pas réellement ?
Pour conclure, je souhaiterais que les uns et les autres remarquent que les étapes qui nous ont faits avancer sont : premièrement comment augmenter les revenus du producteur et comment les préserver. La deuxième chose était que les différentes structures de l’UNPCB devaient être basées sur une crédibilité et une confiance, ne jamais oublier qu’elles sont là pour rendre service aux producteurs. Troisièmement, les partenaires de la société cotonnière doivent à chaque fois travailler en n’oubliant pas leur objectif principal qui est d’avoir du coton. S’ils mènent une activité contre cette idée principale, c’est à la récolte qu’ils vont se rendre compte qu’il n’y a pas de coton. Le dernier axe c’est la contribution de la recherche pour la qualité des intrants en général et de la semence en particulier qui est incontournable pour l’augmentation du rendement tout comme la maîtrise de la fertilisation et celle du parasitisme. Voilà donc ma contribution en tant que paysan nationaliste qui a toujours souhaité que nous soyons parmi les meilleurs.
François TRAORE
Ancien Président de l’UNPCB
Docteur Honoris Causa de l’Université de Gembloux (Belgique)