Mélégué Traoré : «Incontestablement, le MPP a gagné»

L’homme n’est plus à présenter au Burkina Faso et même en Afrique. Il a occupé plusieurs fonctions dont la plus importante est la présidence de l’Assemblée nationale. Lui, c’est Mélégué Traoré, consultant international. Par cet entretien exclusif qu’il nous a accordé, il donne son avis sur l’organisation des élections présidentielles et législatives du 22 novembre 2020 au Burkina Faso.  Lisez!!!

« Il faut que Président élu transforme complètement son style de gouvernement et l’exercice du leadership », Mélégué Traoré

Monsieur le Président, quelle est votre appréciation générale sur élections du 22 novembre dernier ?

Je retiendrai trois dominantes. La première, c’est le fait que ces élections se soient tenues, si on considère la crise du terrorisme. Le système politique burkinabè est caractérisé depuis 1991 par la permanence et la stabilité. Sur ce plan, on peut considérer que l’insurrection du 31 octobre 2014 a été un accident de parcours. La perspective dans laquelle la Transition s’est inscrite, c’est-à-dire dans le cadre de la Constitution, et le fait que la VIIème législature de la IVème République se soit bien déroulée, montrent que la stabilité institutionnelle n’a pas été rompue. Le deuxième élément, c’est qu’il n’y a pas eu d’accrocs pendant la campagne. Cette campagne a été civilisée et républicaine, et beaucoup de pays nous l’ont enviée. J’ai reçu plusieurs coups de fils pendant la campagne, de chefs d’Etat qui nous félicitaient. Ils déclaraient qu’ils admiraient la manière dont nous menions notre campagne. Evidemment, ils la comparaient à celles que l’on voit habituellement dans la sous-région. Le troisième élément important est négatif. La surprise est venue du dysfonctionnement de l’organisation des élections. Or, cela n’a pas été le fait des acteurs politiques, mais plutôt de la Commission électorale nationale indépendante. L’organisation de ce scrutin a été lamentable. Ce n’est pas à l’honneur de la commission électorale. La surprise est désagréable pour tous. Je n’en reviens pas.

 

Roch Marc Christian Kaboré a été élu avec plus de 57,87% des voix. Etes-vous surpris de cette réélection au premier tour ?

Ma réponse sera mitigée. Vous pouvez vous reporter à mes nombreuses interviews. Maintenant, en ce qui concerne les résultats, Roch Kaboré l’a remporté du coup. En réalité, même si les gens ne le disent pas, c’est une surprise. Bien sûr, les militants du Mouvement du peuple pour le progrès vous diront qu’ils ne sont pas surpris ; ce n’est pas vrai. Personne ne savait réellement ce qui allait se passer ; en tout cas avant l’élection, nul ne pouvait dire véritablement que ce serait le résultat du scrutin. Moi-même dans une interview, j’avais dit que le MPP pouvait avoir un coup, mais je ne croyais pas au coup KO. J’ai eu tort. Dans mon esprit, Kaboré pouvait gagner les présidentielles au premier tour, mais au niveau des législatives, le MPP n’atteindrait pas le même score qu’en 2015. Or c’est vrai, le MPP n’a pas eu la majorité absolue au niveau de la députation, mais si vous additionnez les élus du MPP et ceux des alliés au sein de l’Alliance des partis de la majorité présidentielle, incontestablement, c’est une victoire. Là, je parle en tant que militant du Congrès pour la démocratie et le progrès, même si parfois je parle en tant que politologue. Incontestablement, le MPP a gagné. Dernier élément, ce sont les contre-performances d’un certain nombre de personnalités ou de partis qu’on croyait très solides. Or cela n’a pas été du tout démontré dans les urnes. En tout cas, les principaux partis de l’opposition devront s’interroger sur les résultats de ces élections sans faux-fuyants. En pareil cas, et c’est une règle de l’animation sociale, il faut se soumettre à une évaluation rigoureuse sans concession amome à soi-même.

 

L’opposition politique burkinabè était-elle à la hauteur de la tâche ?

Oui, elle a été à la hauteur. Je crois qu’il ne faut pas faire une fixation sur l’opposition politique en prenant uniquement en considération les résultats. Si vous analysez comment le CDP était organisé, comment la NAFA était organisée, comment l’UPC était organisé, comment l’ADF/RDA était organisée, ainsi qu’Agir ensemble, et les autres partis, il est incontestable que l’opposition était à la hauteur. Elle n’a pas atteint ses objectifs, mais elle était à la hauteur. Reste à analyser pourquoi cela n’a pu être transformé en victoire dans les urnes. Il ne faut pas par ailleurs minimiser certains faits troublants dans le déroulement du scrutin et surtout le déséquilibre abyssal des moyens matériels et financiers, entre le MPP ou les autres partis au pouvoir, et les formations de l’opposition. Cela allait de 1020 !

 

Selon vous, quelles actions doit mener le Président élu pour pouvoir réussir ce dernier mandat ?

Il faut qu’il renouvelle et qu’il transforme complètement son style de gouvernement et l’exercice du leadership. Car ce qu’on a reproché à Roch Kaboré pendant les cinq dernières années, c’est de manquer parfois de leadership. Il y a des moments où on s’attendait à ce qu’il tape sur la table, il y a des moments où on s’attendait à ce qu’il soit plus ferme et plus directif, il y a d’autres où on s’attendait à ce qu’il affirme l’autorité du chef suprême des armées, mais aussi du sommet politique et organique de l’Etat. Cela n’a pas toujours été visible. Le deuxième point, évidemment, c’est de construire et de formater véritablement la classe politique. Nous avons des gouvernants et des opposants, mais la classe politique n’est pas encore vraiment un corps solide et à la hauteur. Or, la construction d’une telle classe politique en Afrique dépend toujours du chef de l’Etat, quel qu’il soit. Et puis, il y a évidemment des éléments plus factuels, mais dangereux pour le pays, tels que la question de la corruption. Et là, le Président a beaucoup à faire, parce que cet Etat n’a jamais été corrompu autant qu’aujourd’hui. La question de la sécurité, bien sûr, est cruciale. La réalité d’un Etat, c’est d’abord son existence physique. Dès lors que celle-ci est menacée ou incertaine, l’Etat doit s’interroger sur lui-même. Et là, sur ce plan le Président du Faso aura énormément à faire. Naturellement, on en vient aussi à la question de la réconciliation. J’entends certains qui affirment que la réconciliation n’est pas importante pour une fraction de la population. C’est irréaliste ! Ce n’est pas ça la question. Sans la réconciliation, il n’y aura aucune avancée possible pour tous. Le problème à mon avis n’est pas le cas de l’ancien Président Blaise Compaoré ; celui-ci n’est qu’un aspect du problème. Il ne faut pas tout ramener à Blaise Compaoré. L’enjeu de la réconciliation est plus large et va beaucoup plus loin que cela. La nation, l’unité et la cohésion nationales ne sont possibles qu’à certaines conditions. La réconciliation fait partie de ces préalables.

Aïcha TRAORE

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