Pascal Sanou, médecin néphrologue : «La transplantation rénale coûte dix fois moins cher que l’hémodialyse…»

De plus en plus, la maladie rénale fait des victimes à travers le monde et cette situation inquiète plus d’un. Pascal Sanou, médecin néphrologue par ailleurs président de l’Association pour l’Utilisation du Rein Artificiel et la promotion de la Transplantation rénale au Burkina Faso (AURAF TRANSPLANT), avec qui nous nous sommes entretenus, nous en dit d’avantage sure le mal et des modes de prise en charge des patients.

Que devons-nous entendre par insuffisance rénale ?

L’insuffisance rénale est une maladie qui s’attaque aux reins qui sont deux organes situés dans notre abdomen, mais un peu plus vers le dos. Ils ont la forme de grain de haricot et sont paire. Nous en avons un de chaque côté et ils mesurent lorsque la taille est normale entre 10 et 12 mm. Les reins ont pour rôle d’épurer, c’est-à-dire débarrasser, filtrer notre sang des déchets ; de l’excès d’eau. Ils participent aussi à équilibrer notre pression artérielle. C’est pour cela, quand une personne a une maladie rénale, vous constaterez que la tension est élevée.

Pour revenir à l’insuffisance rénale, elle se définit comme l’incapacité des reins à assurer leurs fonctions principales, les fonctions rénales que je viens de décrire. Mais cependant il faut distinguer deux types d’insuffisance rénale, l’insuffisance rénale aigue et celle chronique. L’insuffisance rénale aigue est lorsque les reins sont détruits de façon brutale depuis moins de trois mois pour une cause que l’on peut facilement identifier. Elle peut survenir dans un contexte d’un paludisme ou d’une déshydratation, d’une diarrhée…ou la prise de certains médicaments toxiques pour les reins. Donc les reins ne peuvent plus assurer leurs fonctions et l’individu tombe en insuffisance rénale aigue. Si c’est un paludisme ou tout autre cause, si la cause est traitée, les reins ont la chance de récupérer. Par contre l’insuffisance rénale chronique est une destruction progressive des reins dans le temps et irréversible. A ce niveau, nous avons une destruction totale des cellules de bon fonctionnement des reins, appelés néphrons. Et nous avons cinq stades de l’insuffisance rénale chronique selon la capacité des reins à rester en filtration.

Pouvez-vous nous parler clairement des causes de l’insuffisance rénale, surtout chez les jeunes ?

Comme je l’ai dit tantôt, un paludisme par exemple, si vous ne le soignez pas bien, vous pouvez avoir une insuffisance rénale aigue. Vous avez une infection, c’est à dire une grosse plaie ou chez les femmes un avortement clandestin ; une infection qui s’installe et n’est pas traitée avec des antibiotiques ou un enfant qui a une angine causée par des bactéries et qui n’est pas traitée…tout cela peut causer une insuffisance rénale. Ou à l’inverse vous prenez des médicaments qui sont très toxiques pour les reins, ou vous prenez des décoctions de la phytothérapie très toxique pour les reins, vous pouvez développer une insuffisance rénale aigue. Si toutefois, on arrive à stopper la cause, on arrive souvent à récupérer les reins dans le cas d’insuffisance rénale aigue. Mais classiquement dans le monde entier, les causes de l’insuffisance rénale chronique sont l’hypertension artérielle, le diabète. Une personne qui souffre de ces maladies a plus de chance de développer une insuffisance rénale chronique. Il y a nécessité qu’une personne qui a ces maladies, puisse se faire suivre rigoureusement car il peut développer une insuffisance rénale chronique. Il y a plusieurs d’autres maladies qui s’accompagnent d’une insuffisance rénale aigue qui peut vite se développer en insuffisance rénale chronique. Parmi ces maladies, nous avons les maladies auto immunes qui sont des maladies du système immunitaire peu diagnostiquées dans notre pays, mais pas rare.

C’est dans quel objectif l’AURAF TRANSPLANT a vu le jour ?

L’association AURAF TRANSPLANT a été créée dans un contexte où au Burkina Faso on assiste à une augmentation de la prévalence de l’insuffisance rénale de façon générale et surtout chez les jeunes. Nous avons une augmentation de la prévalence, mais nous avons une limitation d’accès aux soins, de prise en charge de façon globale dans notre pays. Face à cette situation, nous nous sommes mobilisés en association et nous avons mis en place AURAF TRANSPLANT pour participer à notre manière, à la prise en charge de cette maladie, à la sensibilisation de cette maladie, en gros à une meilleure connaissance de cette maladie.

Au niveau de AURAF TRANSPLANT, vous préférez la transplantation à la dialyse. Vous pouvez partager avec nous les motivations qui ont prévalue votre choix ?

Au niveau de AURAF TRANSPLANT, notre combat c’est non seulement offrir à ceux qui ont une insuffisance rénale et qui nécessite la dialyse, une possibilité de dialyse et ça c’est notre combat de base. L’autre combat est que pour qu’un jour, la greffe rénale soit une réalité au Burkina Faso. Je vous explique les deux modalités de traitement. D’abord quand vous avez une insuffisance rénale, on utilise des médicaments contre la tension, l’anémie, des médicaments pour vous permettre d’uriner beaucoup. Ça c’est le traitement médicamenteux et c’est la première phase. En cas d’échec du traitement, l’alternative est la dialyse. En réalité, il existe deux modalités de dialyse à savoir, l’hémodialyse et la dialyse péritonéale. Au Burkina Faso, la seule dialyse disponible est l’hémodialyse qui se pratique uniquement dans trois villes : Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Ouahigouya, avec une demande forte qui augmente de jour en jour. La grosse difficulté est que la plupart des patients sont des jeunes. Au niveau de AURAF TRANSPLANT on s’est dit qu’on n’arrivera certainement pas à dialyser tout le monde, mais le meilleur traitement possible, pour lequel nous on pense qu’il faut se battre, c’est la transplantation rénale.

La transplantation rénale n’est-elle pas plus coûteuse ? Où pensez-vous trouvez tant de reins pour réaliser la transplantation ?

Je vous assure que la transplantation rénale face à l’hémodialyse coûte dix fois moins chère que la dialyse après la première année. Ce n’est pas une affirmation qui vient de Pascal, c’est une affirmation qui a été faite par des experts sur la maladie rénale. La transplantation rénale quand on regarde ses avantages, on se dit qu’il y a nécessité de la développer dans notre pays. Cette technique n’est pas sorcière, elle est bien réalisable dans notre pays, il suffit d’apprendre les techniques qui vont avec. La transplantation n’est pas plus coûteuse que la dialyse. Je vous donne un exemple. Un patient qui est jeune et qui en dialyse, doit aller deux ou trois fois par semaine à l’hôpital. Il est obligé d’avoir des médicaments en permanence qu’il prend au quotidien, quand on est greffé aussi. Mais il est obligé d’être chaque fois à l’hôpital et le plus souvent nos patients dialysés sont très affaiblis. Ils sont morbides et sont régulièrement hospitalisés, parce que la seule technique dont il bénéficie c’est l’hémodialyse avec toutes ses complications. Ce patient, il perdra son boulot, si c’est une femme, elle perdra surement son foyer, si c’est une personne âgée, la famille sera complètement ruinée par le fait que cette personne n’arrive plus à travailler. A l’inverse, prenons un patient greffé qui a trente ans. On met beaucoup de ressources pour le faire greffer, et plus on est nombreux à faire la transplantation rénale, plus le coût va chuter. Un patient qui est greffé, il n’ira plus à l’hôpital deux fois par semaine. Il aura un meilleur confort de vie, il ne fait plus de dialyse, il n’a plus d’accès vasculaire il n’a plus de cathéterces, choses qui sont importantes pour une personne qui a une maladie rénale. Il ira voir son médecin néphrologue tous les deux ou trois mois, il aura des médicaments appelés des immunosuppresseurs chez lui à la maison qu’il prendra. Nous sommes convaincus que la greffe rénale reste une meilleure option face à la maladie rénale chronique. De ce qui est de la disponibilité des reins pour la transplantation,  les patients viennent d’abord des familles qui les aiment et qui veulent les voir recouvrir une bonne santé. Le rôle du médecin que je suis, c’est de leur faire comprendre que le don d’organe existe et cela permettra certainement à leur parent d’aller mieux. Personne au monde n’aimerait voir sa sœur, son frère ou son parent mourir pour une maladie pour laquelle on a des alternatives. C’est le message que je passerai aux parents des patients pour les convaincre, car c’est une technique qui est bien maitrisée aujourd’hui, même si elle a des limites. Avant de procéder à la transplantation, il y a des examens de compatibilité à faire. En plus de cela, nous avons un autre type de don qui n’est pas connu dans notre pays à savoir, le donneur à partir d’un cadavre. Cela est très développé dans les pays occidentaux pour les décès avec des organes et des vitaux fonctionnels. Mais il faut d’abord un collège pour attester le décès de la personne et des conditions spécifiques pour le prélèvement d’organes. Il y a des équipes bien formées qui prélèvent les vitaux qui peuvent encore donner une deuxième chance à d’autres personnes. Que l’on le veuille ou non, que l’on le fasse aujourd’hui ou pas, un jour nous le ferons en Afrique. Le donneur à partir d’un cadavre pour moi, c’est de donner la possibilité à une personne décédée de rendre un service ultime à quelqu’un d’autre en lui permettant de vivre. Le donneur à partir d’un cadavre est une réalité, il suffit juste de former les personnes et mettre en place l’organisation, car ça nécessite tout un sérieux autour du choix, autour même de la décision du décès. Je peux vous avouez que ça nous prendra du temps, mais nous allons le faire tôt ou tard.

A l’AURAF TRANSPLANT, outre la transplantation du rein, il y a d’autres combats que vous menez ?

Notre premier combat n’est ni de faire de la dialyse ou de la transplantation, c’est de faire de la sensibilisation, de la communication. Notre rêve est de faire en sorte que tous les Burkinabè voire tous les Africains savoir c’est quoi le rein ? Qu’est-ce qui peut le rendre malade. Ça, c’est notre combat premier ! Je le dis à chaque fois, personne ne pourra traiter suffisamment les patients si on les attend uniquement dans les hôpitaux. On ne pourra jamais dialyser tout le monde, on ne pourra jamais greffer tout le monde. Par contre, on peut prévenir la maladie avec tout le monde. C’est pourquoi la stratégie de AURAF, c’est d’organiser des campagnes de sensibilisation, des campagnes de dépistage de la maladie rénale pour agir plus tôt, pour éviter que nous ayons des cas de la maladie. C’est dans ce sens que nous organiserons en début mars une campagne de communication, de sensibilisation et de dépistage sur les maladies rénales. Nous sommes en train d’organiser cette campagne avec tous nos partenaires et les membres de l’AURAF.

Outre des médecins, d’autres corps professionnels sont membres de l’AURAF ?

AURAF est une association à caractère social, donc ce ne sont pas forcément des professionnels de santé qui forment l’association. L’association est constituée de toute personne qui partage le combat de la lutte contre la maladie rénale. Vous avez des médecins, des personnes de bonne volonté. Pour terminer, je remercie votre journal pour l’occasion que vous nous offrez pour parler de notre association ainsi que des maladies rénales. AURAF TRANSPLANT ouvre ses portes à toutes les populations du Burkina Faso pour qu’ensemble, nous partageons le combat contre les maladies rénales. Les maladies rénales ne sont pas des fatalités, ce sont des maladies que nous pouvons vaincre ensemble.

Propos recueillis par

Aymeric KANI