Pôles de croissance au Burkina Faso : Samendeni, se saisir des acquis et des faiblesses de Bagré-Pôle pour mieux réussir

Dans la dynamique de booster l’économie nationale, le gouvernement burkinabè a décidé de la création de pôles de croissance dans plusieurs régions du pays. Bagré-Pôle est le premier du genre. C’est à son image que les autres pôles comme Samendeni ont été imaginés. Si le pôle de croissance pilote a des acquis qui peuvent servir aux autres, il y a eu des insuffisances dont les autres pôles comme Samendeni devront corriger pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Constat à Bagré-Pôle (dans le Centre-Est) et à Samendeni (dans les Hauts-Bassins).

Bagré-Pôle est créé autour des années 2012 en remplacement de la maîtrise d’ouvrage de Bagré. Il est le fruit de la volonté des premières autorités du pays de planifier le développement de la zone en créant une synergie d’exploitation des secteurs d’activités. Bagré-Pôle est sous la tutelle du Premier ministère.  Dans son organisation, le Pôle a un conseil d’administration qui oriente l’ensemble des actions de la direction générale. L’objectif est d’assurer la planification et le développement du pôle de croissance. Cette La direction gère le foncier, les ressources durables, l’entretien des infrastructures et des équipements. Elle s’occupe aussi du développement des partenariats par la mise en place de nouveaux processus, tout en apportant un appui nécessaire aux producteurs et aux investisseurs, en exploitant toutes les potentialités économiques et en faisant la promotion des investissements plurisectoriels.

La direction générale de Bagré-Pôle comprend la direction des aménagements et de la maintenance des infrastructures, la direction de la commercialisation et de la promotion des investissements, la direction des études, du développement des projets et de la capitalisation, la direction de la valorisation économique, la direction administrative, financière et comptable et la direction de la communication dotée d’une radio. Quant au cabinet du directeur général, il comprend le contrôleur de gestion, les auditeurs internes, les services informatiques et le service de sécurité.

Comme l’explique Victor Sawadogo, Directeur de la valorisation économique, chargé de la gestion des terres et de l’appui aux producteurs, « Bagré-Pôle a une superficie de 5 580 hectares aménagés ; 3 400 hectares pour la riziculture constituée d’exploitations familiales ; 750 hectares pour la polyculture pratiquée par des agro-investisseurs qui s’inscrit dans la dynamique entrepreneuriale. Sur le terrain il y a deux types exploitants. Les exploitants familiaux qui sont plus de 4 500 et les agro-investisseurs au nombre de 20 ».

Sur les périmètres hydro-agricoles, l’eau est dispatchée de façon gravitaire. Dans les dispositions d’aménagement, les exploitants familiaux reçoivent les terres clés à main, c’est-à-dire des parcelles aménagées avec un réseau d’irrigation.  Les agro-investisseurs, eux, reçoivent seulement une parcelle ou les infrastructures structurantes sont réalisées c’est-à-dire le canal primaire et la principale voie d’accès. Le reste des aménagements est au compte de l’agro-investisseur en fonction du type de culture qu’il veut pratiquer.

La gestion foncière

L’accès à la terre diffère selon le statut que l’acteur avait déjà avec la terre.  Dans le cadre de Bagré-Pôle, les personnes affectées par le projet font partie du Plan d’action et de réinstallation (PAR). Le PAR permet de faire le point des biens et services impactés et l’indemnisation des superficies qui étaient exploitées. Ces personnes affectées sont aussi prioritaires dans la compensation « terre contre terre » qui tient compte de l’organisation au départ. Ainsi, les propriétaires terriens restent propriétaires terriens.  Bagré-Pôle leur accorde un titre foncier. Si l’acteur a droit à l’usage, on lui accorde un contrat de bail d’exploitation.  Le contrat de bail et les titres réglés sont assujettis aux cahiers spécifiques des charges. Il faut noter aussi qu’au niveau du PAR, il y a deux catégories d’acteurs : ceux qui sont déplacés et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui ont perdu leurs habitations bénéficient d’un site de réinstallation avec des frais de réhabilitation et ceux qui ont perdu leur terre reçoivent la terre en compensation.

L’appui aux producteurs

Bagré-Pôle apporte son appui aux producteurs à travers sa direction des aménagements et de la maintenance des infrastructures. Cette direction est chargée d’assurer la régularité de la disponibilité de l’eau aux producteurs. Pour sa part, la direction de la valorisation économique leur apporte les appuis conseils requis pour une mise en valeur optimale des terres afin d’atteindre un niveau élevé de productivité. Elle intervient à plusieurs niveaux : le calendrier agricole, le partage des technologies à travers les formations en salle et sur le terrain avec des thématiques innovantes, le choix des semences, la préparation du sol et les techniques de récolte.

A la direction commerciale, on s’occupe de renforcer la capacité des producteurs en matière d’éducation financière et en entrepreneuriat agricole. Cette direction appuie aussi les producteurs dans la mise en relation d’une part, entre les acteurs notamment les producteurs, les transformateurs et les microfinances et d’autre part, entre les chercheurs et les producteurs dans la dynamique de développement de l’agriculture contractuel et des chaines de valeurs agricoles. Le projet, selon le directeur Victor Sawadogo, « comporte des insuffisances dans la responsabilisation des acteurs vis-à-vis de leurs obligations c’est-à-dire le paiement de la redevance de l’eau, le respect du calendrier agricole, les contrats de vente avec les transformateurs et les distributeurs ».

Le barrage de Bagré

La principale source d’approvisionnement en eau de Bagré-Pôle est le barrage de Bagré. C’est un barrage hydro-électrique qui produit de l’électricité. Les plaines agricoles sont alimentées par irrigation.  Quant à l’électricité produite, confie Nassa Assami, agent, « elle est envoyée vers les centres de consommation notamment de Ouagadougou, de Bagré et des zones environnantes ». Le barrage irrigue les plaines à partir des canaux primaire et secondaire construits en béton et le canal tertiaire fait en terre. L’abondance de l’eau à tout moment permet les cultures comme la banane et le riz.

La bananeraie de Zidwemba Xavier en est un exemple de réussite. Selon son chef de terrain Alphonse Zongo, « chaque deux semaines nous faisons des récoltes ». Sur la même parcelle de 3,5 hectares, il produit de la banane et du tangelo. L’exploitation de la bananeraie a débuté en 2013 ; ainsi tous les 9 mois, il récolte 35 tonnes par hectare. Malgré un tel rendement, Alphonse Zongo estime que les tangelos sont plus rentables.

A Bagré-Pôle, il n’y a pas que la banane qui est un exemple de réussite. Il y a aussi le riz. Les producteurs de riz sont organisés en Union et c’est Adama Bantango qui préside l’Union des producteurs de riz de Bagré. L’Union est constituée de producteurs et de transformateurs ; ce qui fait sa force. Selon lui, « la production de riz à Bagré-Pôle est estimée entre 4 à 5 tonnes à l’hectare ».  Cependant, les producteurs de riz de Bagré ont des difficultés qui se résument à la commercialisation et à l’équipement. Quand bien même l’usine de l’Unité diocésaine de riz de Bagré, qui est une parfaite illustration de cette coopération entre producteurs de riz et transformateurs, pallie à la question de transformation. Sa capacité de production du riz padis est de 6 tonnes/heure.

Quelques insuffisances du Pôle de croissance de Bagré

Le Pôle de croissance de Bagré traine plusieurs insuffisances. Alban Traoré, le représentant de la Maison de l’entreprise nous égrène quelques-unes.  La première insuffisance selon ce dernier est au niveau de la conception. « Dans la conception, les études et l’exécution des grands axes se sont faites simultanément. Alors qu’on devrait faire les études d’abord avant de procéder à l’exécution par la suite ». Ensuite, pour lui « l’aspect socio-culturel n’a pas été très bien apprécié ». « Disons que la sociologie du milieu n’a pas été assez étudiée ». Il fallait du temps pour que les gens puissent comprendre l’idée même du Pôle de croissance. On devrait, toujours selon lui, « attendre 30 à 50 ans pour mieux capitaliser le projet ». Le Pôle de croissance, de l’avis d’Alban Traoré est basé sur les ressources externes. Alors qu’à son avis, « on ne peut pas bâtir un Pôle de croissance sur des ressources externes au risque qu’il ne s’arrête. Ainsi, il pense qu’on ne devrait pas procéder à la mise en œuvre du programme de développement intégré Samendeni sur de telles bases au risque qu’elles soient aussi fausses comme ce fut le cas avec Bagré-Pôle »

Samendeni au point mort

L’espoir de voir un grand pôle de croissance prendre forme dans le Grand Ouest, précisément à Samendeni dans la commune de Bama commence à s’amenuiser. A la place du grand engouement au lancement des activités de construction du barrage de Samendeni en 2010 subsiste aujourd’hui un grand vide d’illusions et de désespoir.

C’est le 30 novembre 2019 que Roch Marc Christian Kaboré a procédé à l’inauguration officielle du barrage hydro-électrique de Samendeni. Alors qu’en réalité, très peu de réalisations sont faites sur le site.  « Ça piétine beaucoup pour un projet qui devrait faire rêver tout le Burkina Faso. On a déclaré que le programme de développement intégré du barrage de Samendeni devrait contribuer à la croissance du produit intérieur brut de près de 2% et à la création d’au moins 100 000 emplois directs et indirects. Mais pour l’instant, cette contribution et les nombreux emplois attendus ne sont que des rêves.

Il y a une quarantaine d’années que le site a été identifié. Les travaux de construction du barrage qui ont débuté il y a quatorze ans sont totalement achevés et ont coûté plus de 100 milliards de FCFA, y compris le dédommagement des 6 000 ménages affectés. Quant aux activités agricoles elles peinent à prendre forme. La seule activité qui s’y déroule est la pêche.  L’ouvrage de Samendeni doit comprendre un lac artificiel de plus de 1,5 milliard de m3 et une centrale électrique d’une capacité de 3,74 MW et devrait permettre l’émergence d’un pôle de croissance agro-industriel dans la vallée du fleuve Mouhoun où 1 500 hectares de terres sur les 21 000 hectares prévus sont déjà irrigués.

 Des surplus sur les frais du permis de pêche qui inquiètent les pêcheurs

Les pêcheurs sur le barrage de Samendeni font face à plusieurs difficultés. Et la première difficulté, c’est bien, le coût des filets de pêche. « On paie les filets à 150 000 FCFA souvent même à crédit », dit Tomata Amadou. Les filets sont disponibles sur place à Samendeni et revendus par Maiga et à Sangoulema par Bouba et Soma. Mais leur plus grande difficulté c’est bien les frais du permis d’exploitation qui diffèrent des nationaux aux étrangers. Pour les nationaux, il faut débourser officiellement 8000FCFA mais en réalité les pêcheurs paient 10 000 FCFA. Pour les étrangers le montant s’élève à 35 000 FCFA mais dans les faits, ils paient 38 100 FCFA. D’où la question que se posent les pêcheurs à savoir où vont le surplus de 2000 FCFA pour les nationaux et 3000 FCFA pour les étrangers puisque sur les quittances de paiement c’est 8000 FCFA et 35 000 FCFA qui sont inscrits.

Encadré

Ce reportage sur les pôles de croissance au Burkina Faso devrait nous permettre d’en savoir davantage sur l’apport des pôles de croissance dans l’économie nationale. Si à Bagré-Pôle nous avons bénéficié de l’accompagnement sans faille des premiers responsables, ce n’est fut pas le cas du côté du Programme de développement intégré de la vallée de Samandeni (PDIS). Malgré une correspondance et un canevas à eux adressés, les responsables du projet n’ont pas été disponibles pour nous fournir quelle que information qu’elle soit. Après maintes relances, nous avons décidé d’aller sur le terrain, de faire le constat, d’échanger avec les populations afin de pouvoir réaliser notre reportage. Leur contribution allait être d’un grand apport pour notre reportage mais hélas, ils n’ont pas été là.

Firmin OUATTARA

Aymeric KANI