Denise Dofini-Leinnimi Coulibaly, journaliste : Portrait d’une dame qui a su se forger dans l’ombre

A près de 13 ans d’expérience, Denise Coulibaly a su asseoir petit à petit son statut de journaliste culturelle. A Savane Médias avec sa célèbre émission culturelle « bloc-notes » tous les samedis de 10h à 12h, elle met son goût des autres au service de la culture et de l’information. En plus du journalisme, Denise s’est lancée dans l’entreprenariat, ce qui lui a fallu l’ouverture de sa poissonnerie « Poisson du Mouhoun ». Découvrons-la davantage dans cet entretien qu’elle nous a accordé.

Peut-on connaître davantage Denise Coulibaly ?

J’ai fait une série littéraire au lycée provincial de Dédougou. Avec mon bac A, j’ai entamé mon cursus universitaire à l’Université de Ouagadougou en son temps en lettre moderne. J’y ai fait la licence option sémiotique, c’est l’étude du sens du signe et jusqu’à la maîtrise. Mais, c’est durant mon année de licence que j’ai entamé ma carrière journalistique en tant que stagiaire à la rédaction de Savane FM en 2010, je faisais des reportages. Donc, en 2023 ça me fait treize ans d’expérience à Savane FM, maintenant Savane Médias. J’ai fait d’abord les reportages et on nous a formés dans la présentation des émissions culturelles, lectures des communiqués. De là, je me suis forgée un peu et j’ai commencé à présenter le journal à la radio à trois ou quatre mois de mon stage avec le coaching de Soumaïla Rabo, mon rédacteur en chef d’antan qui est le directeur de l’information de Savane Médias. C’est vraiment lui qui m’a boosté jusqu’à ce que je puisse apprendre à présenter le journal.

Après tant d’années de pratique, que retenez-vous de ce métier ?

Le journalisme est un métier de grande rigueur, parce que le journaliste a une grande responsabilité sociale. Si tu lances une mauvaise information, tu peux brûler un pays, ça fait que ce métier demande beaucoup de rigueur, beaucoup d’abnégation et surtout un bon carnet d’adresses. Aujourd’hui avec les réseaux sociaux, il y a le buzz, le scoop, mais si on veut être un bon journaliste respecté, il faut savoir recouper l’information, cela est important et primordial et surtout respecter la déontologie du métier. C’est un métier qui nécessite beaucoup de temps. Les week-ends et même les jours fériés, on est parti. Je sais que le jour de la Noël, j’ai déjà présenté le journal. Par exemple les fêtes musulmanes, je travaille pour soutenir mes collègues qui doivent fêter. Aujourd’hui en tant que journaliste rédactrice en chef adjointe, chargée de l’équipe Web, on est tout le temps dans le feu de l’action, entrain de chercher des informations. On ne dit pas qu’il y’a jour de travail, lieu de travail, heure de travail, surtout avec le web. On a appris avec ce métier surtout la patience. Il ne faut pas se précipiter au risque de se casser la tête.

 Ce métier permet-il à une femme de survenir à ses besoins ?

Oui, je peux dire que le journalisme est ma principale source de revenus aujourd’hui. Avec l’expérience que j’ai aujourd’hui, j’ai d’autres opportunités, par exemple je suis journaliste sur pas mal de documentaires, et pas mal d’autres projets. Je suis beaucoup dans les activités culturelles. D’autres projets où je peux me retrouver en tant que chargée de communication d’un événement où j’appuie la communication. Aussi, comme je suis beaucoup plus journaliste culturelle, on peut m’inviter pour des activités. Ce sont des activités qu’on fait parallèlement pour arrondir les fins de mois. Il y a d’autres pour coacher les gens dans le journalisme qu’on ne fait pas officiellement. Il y a des gens qui demandent votre expertise dans leur entreprise. Voilà entre autres, ce que je peux dire si on va parler du métier en gros avec toutes les connexions que nous avons. Le métier nourrit son homme quand on sait s’organiser, travailler, se donner une bonne image, ça fait que les gens vous sollicitent pour pas mal de choses, tel qu’écrire la biographie d’un artiste. Surtout que j’ai une émission culturelle qui s’appelle « bloc-notes » tout les samedis où je reçois beaucoup d’artistes et d’acteurs culturels.

Menez-vous d’autres activités en dehors du journalisme ?

D’autres activités connexes en dehors du journalisme, j’ai une très grande passion pour la pêche. Le Burkina Faso est un pays enclavé, sahélien, un pays de la savane. Mais, je viens de la Boucle du Mouhoun, une région entourée par le fleuve Mouhoun qui nous donne des merveilles en termes de ce qui est poissons. Je viens d’un village, Boron, à 25km de Dédougou. Dans ce village, mes oncles sont des pêcheurs en plus d’être agriculteurs. Donc étant à Ouagadougou, j’ai décidé de faire découvrir les merveilles de cette localité. Parallèlement, je vends du poisson d’eau douce à travers ma poissonnerie « Mouhoun poisson » pour parler uniquement des poissons d’eau douce de la Boucle du Mouhoun, c’est quelque chose qui me passionne beaucoup. Quand j’entends qu’il y a du capitaine quelque part, il ne faut pas me voir courir. Malheureusement avec l’insécurité dans notre région, cela a un peu ralenti cette activité. En plus de ça, je fais dans beaucoup les produits bios comme le soumbala, le beurre de karité que j’essaie de promouvoir en plus du poisson d’eau douce de chez moi.

Qu’est ce qui constitue pour vous comme un obstacle à votre métier ?

Je ne vois pas les choses en obstacles. En journalisme, je vois plus les choses en défis à relever, des challenges qu’on doit relever tout le temps. Par exemple dans mon environnement il y’a beaucoup de challenges. Les mentalités doivent évoluer et ce n’est pas évident, car souvent tu fais des propositions et on te dira que tu es venue trouver les choses ainsi et que ça marche bien, donc on garde cela. Mais il faut souvent bousculer les gens. Donc je ne vois pas trop d’obstacles au sein du métier. Mais de l’extérieur l’obstacle aujourd’hui, c’est la situation sécuritaire qui limite nos déplacements. En tant que journaliste culturelle, on n’a pas mal de festivals et beaucoup qui sont en berne. C’est en fonction de la situation du pays, je me dis que si le pays se porte bien, tout rentrera dans l’ordre.

Vous vous intéressez beaucoup à l’actualité culturelle, qu’est-ce qui vous maintient dans ce secteur ?

Dans le milieu, on me définit comme une journaliste culturelle surtout avec mon émission culturelle. Je l’ai hérité de la famille parce qu’à Dédougou, quand on parle de la famille Boron Moussa, tout le monde sait qu’elle était un adepte de la culture, même s’il a été opérateur économique dans région la Boucle du Mouhoun. Quand on disait qu’il y a tel artiste qui vient à Dédougou, ou il y a un orchestre qui était venu du Ghana, c’était l’œuvre de mon papa (paix à son âme). Ça fait que j’ai grandi un peu dans cet environnement qui m’a bercée. Pour moi la culture est intrinsèque à une communauté, à une société. Quand on sait valoriser sa culture avec celui qui est en face de nous, c’est ce qui fait notre identité. Et pour moi, c’est inestimable.

Qu’est-ce qui peut être considéré comme une satisfaction pour vous dans ce métier ?

On a plusieurs satisfactions en fonction des défis qu’on a pu relever et en fonction de ce qu’on a pu avoir parallèlement. J’ai une grande satisfaction du fait qu’on m’ait étiqueté journaliste culturelle et que un matin je me retrouve comme journaliste chroniqueuse d’une émission interactive qui parle de politique, société, culture, sport. Bref, on a tellement de sujets à aborder et j’ai su tiré mon épingle du jeu jusqu’à avoir mon surnom de Nassar Poaka de Savane FM à cette émission qu’on appelle “Venemsonré” et qui continue toujours, où j’avais la charge de la gestion du résumé. Les gens posent leurs préoccupations et font des propositions. À la fin, je fais le résumé pour trancher. Je ne suis plus dans l’émission, mais il y a des auditeurs qui voulaient que je revienne car j’y apportais beaucoup. C’est l’une des grandes satisfactions pour moi. Et également ma fierté, ce sont mes trophées car quand on prend les FAMA, je suis la seule journaliste culturelle à avoir eu deux trophées de Meilleur journaliste culturel de l’année. J’ai eu les 12 PCA, c’était mon premier prix avec Hervé David Honla. Après, j’ai eu deux FAMA, le LOMPOLO du meilleur artiste journalistique de théâtre qui est l’initiative des acteurs de théâtre. La fierté, c’est d’arriver dans un media en tant que stagiaire et en trois mois arriver à présenter le journal, être recruté une année après dans le même media, évoluer dans le même media et être appelée un matin pour être deuxième red-chef adjointe et aujourd’hui je suis la red-Chef adjointe, après le chef et y a le directeur de l’information. Et quand on prend dans l’histoire de Savane FM je suis pratiquement la seule femme dans la rédaction à avoir occupé ce type de poste de responsabilité. Et aujourd’hui, je m’occupe de l’équipe Web. J’ai su me forger dans le silence un peu un peu.

Il y a des préjugés sur les femmes journalistes, qu’est-ce qui motive ces clichés selon vous ?

Quand on parle de préjugés, c’est ceux qui écoutent qui se sentent mal. Les clichés existent dans tous les métiers. Et comme dans le journalisme, on a accès à pas mal de personnalités, on pense que les femmes journalistes sont inaccessibles. Et comme c’est un métier qui expose, c’est normal que les gens s’intéressent à ta vie. Quand on veut évoluer, on n’a pas besoin de s’attarder sur cela. Je me rappelle, on a fait le monitoring des médias par rapport aux stéréotypes sur les femmes avec des organisations, et c’est ressorti que la plupart du temps les clichés sur les femmes journalistes sont plus développés par les collègues hommes journalistes et parfois même des femmes journalistes qui prennent du plaisir à dénigrer leurs collègues, simplement parce qu’il y a quelqu’un en face qui est entrain d’apprécier la personne. Cela vient souvent de nous. Nul n’est parfait sur cette terre, l’essentiel c’est de bien faire son travail.

Le journalisme, c’est aussi les absences répétées, comment arrivez-vous à allier cela avec votre vie de couple ?

Si quelqu’un t’aime, il doit t’accepter avec ton boulot surtout si la personne t’a trouvée déjà dans ton métier. Si vous êtes ensemble, vous devez avoir une vision commune. En plus de cela, de la manière dont la femme respecte le boulot, les contraintes de l’homme, l’homme doit en faire de même. La vie de couple, c’est la conciliation. Tant qu’il n’y a pas la conciliation, ça risque d’être difficile. Heureusement, j’arrive à me faire comprendre. Je suis tellement investie dans mon métier que je ne m’amuse pas avec. L’être humain, ce qui le fait, c’est son accomplissement. Si quelqu’un doit être un obstacle dans cet accompagnement, ce n’est pas la peine. Personnellement, je pars dans mes activités même la nuit sans soucis, car j’ai trouvé la bonne personne et on se comprend bien.

Quels conseils avez-vous pour vos sœurs qui veulent faire comme vous dans le journalisme ?

On a parlé tantôt des clichés qu’on a sur les femmes et on a la facilité d’aborder certaines personnalités. À mes débuts, il y a mon PDG Boubacar Zida Sidnaaba qui m’a fait avoir une image que j’ai gardée dans la tête. Il m’a dit que dans ce métier, il y a deux échelles pour la femme. La courte échelle et la longue. Pour la courte échelle, quand tu l’escalades, ça va très vite et ensuite tu es bloquée. Mais la longue échelle n’a pas de fin, tu l’escalades, il y a des obstacles, tu persévères, mais quand tu arrives à franchir étape par étape, tu es fier de toi. Depuis lors, j’ai décidé de prendre la longue échelle. Quand tu fais bien ton boulot, on te recommande dans beaucoup de coins et tu es étonné. C’est ce que mes jeunes sœurs doivent faire, se réserver, se valoriser, travailler. Et c’est ton travail qui va te vendre.

Aïcha TRAORE