Comme d’autres régions du Burkina Faso, la région des Hauts-Bassins qui regroupe 03 provinces est la cible des groupes terroristes. Chose qui avait entrainé le déguerpissement de plusieurs villages de la région. Grâce aux efforts de l’armée et des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), ces localités ont été réinstallées et les enfants ont retrouvé le chemin de l’école. Le vendredi 04 octobre 2024, nous sommes allés toucher du doigt l’effectivité de la réouverture de certaines écoles et les défis auxquels les élèves et enseignants font face.
Commune rurale de la province du Tuy, la Commune de Koumbia est traversée par la route nationale 1. Cette localité a connu ses premières incursions terroristes courant l’année 2022. Chose qui a occasionné le déguerpissement de certains villages et la fermeture d’écoles. Partis de Bobo-Dioulasso sur notre moto Aloba dans le cadre de ce reportage, mon binôme et moi arrivons sur place après environs deux heures de route. Direction la brigade territoriale de la Gendarmerie nationale pour signaler notre présence et recevoir les dernières instructions pour notre mission. Après une dizaine de minutes de tête-à-tête avec le commandant de Brigade, nous voici à l’inspection de la Circonscription d’éducation de base (CEB) de la commune où nous sommes reçus par un groupe d’inspecteurs.
A l’issue des échanges, débute un autre périple en compagnie de l’un d’entre eux que nous nommons «le guide», qui est par ailleurs inspecteur à la CEB de la commune de Koumbia. C’est avec lui que nous ferons le tour des villages réinstallés où la rentrée scolaire 2024-2025 est effective. Auparavant, nous recevions de notre guide des statistiques et autres informations opportunes. La première localité visitée, nous la nommons Alpha I pour des raisons de sécurité. Là, ce sont deux écoles qui ont rouvert les portes. Pour atteindre ce village, nous avons bravé l’état dégradé de la route. Des champs de maïs, de coton et autres cultures installés le long du trajet rassurent de la présence humaine dans cette bourgade. C’est aussi la preuve que la sécurité est effectivement revenue et que les producteurs ont pu emblaver leurs champs.
«Tout le monde est là»
Le village Alpha I est resté pendant un moment sous emprise terroriste. Aujourd’hui, c’est un vieux souvenir. La première école primaire publique du village accueille pour cette année scolaire 368 élèves répartis dans 06 classes avec 09 enseignants. Toutes les classes sont rouvertes et les enfants courent dans tous les sens, se tapotent dans le cours de l’école. Visiblement, ils sont heureux de retrouver les salles de classes. Le corps enseignant quant à lui, est sous un grand arbre. A la fois surpris et contents, élèves et enseignants nous accueillent à bras ouverts. L’hospitalité africaine est aux rendez-vous. Accompagnés de notre guide, nous prenons donc langue avec M.K, le directeur de l’école qui nous confie que «la reprise se passe très bien. Il n’y a pas eu de problème depuis que nous sommes là. Les élèves ont répondu à l’appel, et d’autres continuent à venir jusqu’à présent». Toujours selon lui, « les années antérieures il y avait eu de la peur si bien que certains parents sont allés scolariser leurs enfants dans d’autres villages plus sécurisés ; mais cette année beaucoup d’enfants sont revenus ». «Nous pouvons dire qu’il n’y a plus la peur. Depuis la reprise, il n’y a jamais eu de rupture mais un début assez timide », explique-t-il en outre. Avec l’engouement qui est plus élevé cette année par rapport à l’année antérieure, la première école du village Alpha I fait face à un manque de personnel et à l’état des infrastructures, toujours selon son premier responsable.
Au moment où nos échanges avec ce dernier tiraient vers la fin, arrive le responsable de la seconde école, pour une visite de courtoisie à son collègue. En compagnie de notre guide, le responsable de la seconde école nous conduit dans son établissement. Environ un kilomètre de route et nous y sommes. A ce niveau également la réouverture est effective. L’école dispose de 4 classes à savoir le CP1, le CP2, le CE2 et le CM2 avec un effectif de 188 élèves pour 04 enseignants. Une activité de salubrité pour débarrasser l’école des hautes herbes et autres déchets est en cours. Comme à la première école, le premier responsable de l’école que nous nommons M.D avoue que «la rentrée se déroule très bien, car la vie a normalement repris. Il y a de l’engouement car les effectifs diffèrent des années antérieures. Dans la classe de CP1 par exemple, nous avons un effectif d’environ 60 élèves contre 40 élèves l’année dernière. L’état d’esprit des enfants est bon grâce aux sensibilisations. Il y aussi le fait que nous avons repris depuis l’année passée à l’intérieur du village dans un bâtiment d’emprunt pour des questions de sécurité. Cette année, nous avons décidé de revenir sur notre site réhabilité car les groupes terroristes l’avaient vandalisé et incendié ». M.D demande l’accompagnent surtout en matériels pour assurer au mieux sa mission d’enseigner. « Pour le moment, nous sommes rassurés parce que tout le monde peut dormir tranquillement avec la présence des VDP. Nos difficultés sont d’ordre matériel. Personnellement, je n’ai plus de bureau ; cela n’est pas simple. Nous demandons à nos responsables de nous soutenir avec beaucoup de matériels pour nous permettre de travailler efficacement », lance-t-il.
Tout le monde est méfiant
Nous mettons ensuite le cap sur un autre village, Alpha II. Mon confrère et moi, accompagnés de notre guide, empruntons les 12 km de route qui séparent les deux villages sans savoir que nos engins allaient s’embourber à plusieurs reprises. Pis, nous allons nous égarer en pleine brousse, car après avoir parcouru quelques kilomètres, nous perdons notre chemin. Sans savoir où nous sommes, nous prenons le risque d’avancer jusqu’à ce que nous rencontrions une adolescente avec qui nous échangeons difficilement, pour défaut de langue. Ayant compris que nous cherchons la route du village Alpha II, par des signes, elle nous oriente. L’espoir renait un moment. Moins d’un kilomètre de route après, nous voilà encore perdus. Par coup de chance, nous croisons le chemin de deux jeunes bergers. L’un d’entre eux décide de nous conduire sur la grande voie qui conduit dans le village, après des instants d’hésitation. Nous comprenons ses inquiétudes, la situation sécuritaire dans la zone a fait que tout le monde est méfiant. Il est environ 11h lorsque nous apercevons du haut d’une petite colline, les premières maisons du village Alpha II. Nous marquons une halte au poste de contrôle des VDP qui veillent au grain, pour nous présenter.
Le drapeau du Burkina Faso flotte à l’école
Après les salutations d’usage avec les VDP en langue locale, nous partageons avec eux les raisons de notre mission. L’école du village avait été fermée après avoir été saccagée et incendiée par les terroristes. Après la réfection, toutes les classes sont désormais fonctionnelles. L’école compte 366 élèves et 07 enseignants. Notre attention sera tout de suite attirée par le drapeau qui flotte dans la cour de l’école. Symbole de la réouverture de l’école. Bien que surpris par notre présence, le directeur de l’école s’attèle à nous accueillir. Il confie que ses collègues et lui sont présents depuis la rentrée administrative. «Nous avons commencé les cours le 1er octobre 2024 comme les autres écoles du Burkina Faso. Les élèves arrivent timidement, car tout retour est difficile. D’autres ne pensaient même pas qu’on pouvait commencer les cours. C’est à partir du jeudi 03 octobre qu’il y a eu un peu d’engouement. Donc nous pouvons dire que le village s’est réinstallé et vit. Le moral est au top, nous avons reçu les encouragements de nos supérieurs pour pouvoir surmonter les difficultés », fait comprendre H.S, premier responsable de l’école qui n’a pas manqué de relever les difficultés auxquelles l’école fait face. «Les écoles avaient saccagées et incendiées. Ce qui fait que nous sommes confrontés à un manque de table-bancs, de bureaux,… Nous avons également besoin de personnel. Malgré cela, tout le monde est mobilisé à savoir la population, les autorités y compris les enseignants qui sont sur le terrain. Nous sommes convaincus qu’ensemble nous pourrons relever le défi», assure H.S. Il est 12h lorsque nous finissons notre entretien avec le directeur de l’école. Au son de cloche, les classes se vident et les élèves regagnent leur domicile pour revenir à 15 h pour les cours de l’après-midi. Les enseignants quittent aussi les salles de classes et viennent à notre rencontre. L’un d’entre eux martèle, «ce n’est pas facile, mais nous sommes là pour faire notre travail. Les difficultés ne manquent pas, mais nous sommes là. Si vous pouvez faire une doléance pour que nous ayons le réseau téléphonique Orange, cela va beaucoup nous aider». Après des moments de sympathie avec le corps enseignant, nous mettons nous voilà en route pour le prochain village, Alpha III. Deux binômes de VDP sont chargés de notre sécurité et ont pour mission de nous conduire à Alpha III, situé à environs 15 km.
«Monsieur l’inspecteur, vous êtes venu nous voir ?
Nous effectuons un bref passage à la base des VDP avant d’enfourcher nos motos. Forêt, champs, rivières sont nos compagnons de route. Le périple dure environ 45 minutes. Dans ce village, toutes les entrées et sorties sont contrôlées en temps réel par les VDP. L’école compte 02 salles de classe avec 67 élèves. « Monsieur l’inspecteur, vous êtes venu nous voir ?», lance le directeur de l’école visiblement surpris de voir son supérieur hiérarchique. Ici, la reprise est timide même si des élèves et des enseignants sont sur place. « Avec tout ce qui s’est passé, nous avons de la peine à retrouver nos anciens élèves. Depuis la rentrée administrative, nous faisons le nécessaire pour que les enfants reviennent, mais c’est un peu difficile. La preuve en est qu’on n’a pu ouvrir que deux classes. La troisième classe qui devrait constituer le CM2 n’a pratiquement pas eu d’élèves », déplore le directeur de l’école. Selon lui, cette situation s’explique par le fait que des élèves sont allés se faire réinscrire ailleurs et certains ont préféré rejoindre les sites d’orpaillage. H.S avoue que l’état d’esprit de certains élèves a changé. « Il y a des enfants qui sont passés d’enfants polis, sages à enfants turbulents. Et même ceux qui viennent d’arriver nouvellement s’illustrent déjà de la mauvaise manière », souligne-t-il. Tout en assurant que le rôle d’éducateur et de psychologue que joue l’enseignant est déterminant dans ces circonstances pour recadrer les élèves. Aussitôt l’entretien fini, nous décidons de reprendre le chemin du retour. Pendant ce temps le soleil se dirigeait vers le coucher alors le ciel s’assombrissait, annonçant ainsi un probable orage.
« Nous nous attelons pour venir à bout des difficultés »
Dans toutes les trois localités visitées, les enseignants et les élèves sont bien présents et les cours ont effectivement commencé avec l’aide des parents d’élèves et des VDP. «Lors des visites administrative et pédagogique, nous avons relevé les défis auxquels font face ces différentes écoles et nous nous attelons à leur trouver des solutions. Nous menons des sensibilisations à l’endroit du personnel dans le but de le convaincre de revenir dans leurs postes, car il n’y a plus rien à craindre. Dans les jours à venir, nous allons rouvrir une autre école dans un village », fait savoir notre guide, inspecteur.
Il rassure que les différentes doléances des enseignants ont été transmises à qui de droit. « Les enseignants doivent comprendre que lorsqu’on parle de la résilience, de la citoyenneté, du combat auquel fait face le pays, chacun a son rôle à jouer ; eux par exemple, ils sont les VDP de l’éducation. Nous leur présentons tous nos encouragements et félicitations pour leur sacrifice qui va à l’endroit de toute la Nation », argue-t-il.