Le dimanche 9 janvier dernier, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, réunis en sommet à Accra, a adopté des sanctions qualifiées de « très dures » contre le Mali. Parmi ces sanctions, figurent la fermeture des frontières de l’espace sous-régional avec le Mali et la suspension des échanges commerciaux autres que les produits de première nécessité. Dans la foulé le Mali annonçait le 10 janvier entre autres, la fermeture de ses frontières. Ce 12 janvier 2022, une équipe de L’Express du Faso est allée à la rencontre de quelques acteurs du domaine des transports à Bobo-Dioulasso. Objectif, avoir leur point de vue sur cette situation et son impact sur leurs activités.
Notre quête de l’information nous amène d’entrée de jeu, à prendre langue avec Harouna Ganamé, président national de l’Union nationale des transporteurs routiers autonome du Faso (UNATRAF), et vice-président chargé d’intervention et suivi à la Faitière unique des transporteurs du Burkina (FUTRB). Pour lui, la fermeture des frontières impacte négativement leurs affaires. « Nous sommes des acteurs, nous faisons des allers-retours entre le Burkina Faso et le Mali tous les jours, avec des marchandises et nous gérons également les transports en commun. A cause de la fermeture des frontières Mali-Burkina, nous avons des camions qui sont bloqués au Mali, des camions maliens sont également bloqués à la frontière au Burkina Faso. Particulièrement, j’ai un camion bloqué au Mali. Cela joue beaucoup sur l’économie des deux pays en question en général ».
Ce qui a entrainé cette situation est une décision communautaire, reconnait Harouna Ganamé et chacun s’en prend à son gouvernement, dit-il. Ce dernier, pour cela, demande au gouvernement burkinabé de revoir s’il y a une possibilité de négociation avec le Mali, pour laisser passer les camions. Car, argumente-t-il, l’impact du secteur des transports sur l’économie de ces deux pays n’est pas à négliger. Et pour ne rien arranger à la situation, le Mali aurait renforcé ses frontières avec des militaires. Ce qui rend encore plus difficile la situation est « qu’on ne sait pas jusqu’à quand durera cette mesure ». Il y a même des véhicules sénégalais qui devraient traverser le Mali pour rentrer chez eux. Mais ils se retrouvent bloqués ici au Burkina. Déplore Harouna Ganamé. « Certains de nos véhicules sont à Kouri, à Koutiala, à Sikasso, à Hèrèmakônon, à Kologo », précise-t-il.
Une incidence financière en centaines de millions FCFA
Mohamed Bassirou Ouédraogo, chef de gare de l’Organisation nationale des transporteurs terrestre du Burkina Faso (ONTTB/Section Bobo) que nous avons aussi rencontré à l’auto gare de Lafiabougou déplore également cette situation de fermeture des frontières entre le Mali et les Etats de la CEDEAO. Tout comme Harouna Ganamé, celui-ci soutient que « la fermeture des frontières avec le Mali a un véritable impact négatif sur nos activités, en tant que transporteurs. En deux jours seulement, nous avons enregistré un nombre important de véhicules stationnés dans les différentes frontières à savoir, Kologo et Faramana. Présentement nous sommes appelés de partout, car les gens pensent que nous les premiers responsables, nous pouvons faire quelque chose. Malheureusement, nous ne pouvons rien faire pour eux, car la décision de fermeture des frontières est communautaire, cela ne dépend pas uniquement du Burkina Faso».
A en croire ses propos, personne ne s’attendait à une fermeture des frontières aussi vite, juste après celle intervenu en 2020 pour cause de la Covid-19. En termes d’incidence financière de cette fermeture, Mohamed Bassirou Ouédraogo la trouve énorme. « On ne s’attendait vraiment pas à cette fermeture brusque des frontières et c’est le Mali même qui fut le premier à fermer ses frontières avec nous et les autres. A notre niveau, nous estimons l’incidence financière à des centaines de millions, voire même en termes de milliard. Car le transit entre le Mali et le Burkina Faso est très actif. Il y a des véhicules du Mali qui pensaient pouvoir quitter la Côte d’Ivoire, passer par le Burkina et rejoindre leur pays, mais cela est chose impossible. Nous Souhaitons vraiment que nos autorités puissent s’accorder le plus vite possible, car la survie de plusieurs familles en dépend». A entendre Bamory Sanogo, vice-président national de l’Union des chauffeurs du Burkina et Secrétaire Général adjoint de l’Union des conducteurs de l’Afrique de l’Ouest (UCRAO), ce sont 100 camions-citernes qui font la navette entre le Burkina Faso et le Mali. C’est donc un manque à gagner côté économie, vu que ces camions payent des taxes à chaque passage (au péage).
« Si on doit continuer de la sorte, on va mourir»
La décision prise par la CEDEAO n’est pas la bienvenue, martèle Bamory Sanogo. Il soutient que «nous sommes en train de travailler pour briser les barrières entre les pays membres de l’Union économique et monétaire Ouest africain, d’où la création de l’UCRAO, composée des 15 pays de la CEDEAO en plus du Maroc et de la Mauritanie ». C’est comme si ces différentes fermetures des frontières venaient réduire à néant tous leurs efforts.
Si on doit continuer comme cela, dit-il, « en tant qu’acteur des conducteurs routiers, cela ne nous arrangera pas et on ne va pas l’accepter. On a assez souffert par la fermeture des frontières du fait de la Covid-19. Si on doit continuer comme de la sorte, on va mourir». Lui également soutient que des membres de leur Union sont actuellement bloqués au niveau des différentes frontières avec le Mali.
Du Burkina, des transporteurs prennent toujours la direction du Mali
Nous nous sommes rendus par la suite au port sec de Bobo-Dioulasso pour essayer de rencontrer des transporteurs qui seraient bloqués sur le territoire burkinabé à cause de la fermeture des frontières avec le Mali. Arrivés sur les lieux, des camions sont effectivement en attente, prêts à prendre la route pour certains, même s’ils n’ont pas la même destination, et les autres devront passer quelques nuits sur place encore. C’est dans cette configuration que nous sommes tombés sur Dramane Ouattara, un transporteur routier. Il était en train de minutieusement nettoyer son camion-remorque, bien chargé et recouvert de bâche de protection en plastique. C’est en continuant son nettoyage, que ce transporteur et nous dialoguions. Il est en provenance du port de Tema, au Ghana, nous confie-t-il. Sa destination, le Mali. Pourtant, ce dernier nous assure qu’il est sur le point de bouger. « Les frontières du Mali sont fermées », lance à Dramane Ouattara un membre de l’équipe de L’Express du Faso. Notre transporteur soutient que c’est une fois arrivé sur le sol burkinabé qu’il a entendu parler de cela. Néanmoins, il compte prendre la direction du Mali quand même, car selon lui, il vaut mieux être bloqué à la frontière qu’au port sec à Bobo. A la frontière, à l’entendre, tout peut arriver. Il peut même y avoir ce ‘’truc’’ qui pourra leur permettre de traverser. Au cas contraire, il reviendrait sur ses pas. S’il ne fait pas cela, se référant à ses propos, il peut ne pas entrer en possession de ses frais de transport. C’est sur ces propos que nous prenons congé de Dramane Ouattara, le laissant entrain de ‘’cirer’’ son camion, plus déterminé que jamais à continuer son chemin vers le Mali.
Abdoul-Karim Etienne SANON
Aymeric KANI