Hermann Yaméogo, président de l’UNDD : “Les élections passées ne sont pas un exemple de démocratie… “

Hermann Yaméogo, avocat non inscrit au barreau, président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD) nous a accordé une interview le vendredi 18 décembre dernier. La vie de son parti, les élections du 22 novembre dernier, la victoire de Roch Kaboré et le retour de Blaise Compaoré sont entre autres sujets qui étaient au cœur des échanges. Lisez !

 

Pourquoi l’UNDD n’a-t-elle pris part aux dernières élections ?

Nous avons estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour participer aux élections législatives et présidentielle du 22 novembre dernier. Et, y participer sans avoir résolu certains préalables, c’est comme cautionner le processus et accompagner les institutions qui seront mises en place. C’est pour ces raisons que nous avons préféré nous mettre en retrait. Nous allons revenir en force en 2025. Nous défendons toujours nos idées. La démocratie est toujours en construction au Burkina Faso et elle est une conquête des forces politiques et du peuple burkinabè dans son ensemble.

 

D’une façon générale, comment appréciez-vous les élections législatives et présidentielle du 22 novembre dernier ?

Je m’en suis  expliqué avant et après. Avant, c’était de façon préventive de part mon expérience. Car lorsqu’une élection approche et qu’on ne prend pas les précautions pour en garantir la sécurité, aux plans du processus, de la protection physique et juridique des Burkinabè, on court au devant de gros problèmes. Nous avons demandé particulièrement que l’on contrôle tout le processus électoral en amont et en aval ; qu’on veille sur tous les éléments liés à l’informatisation du fichier électoral. Ça n’a pas été respecté, l’enrôlement était catastrophique. Déjà aux élections passées, nous avons eu une condamnation de la Cour de justice de la CEDEAO parce qu’on a estimé qu’il y avait une exclusion de quelques personnes qui avaient demandée par la révision de l’article 37. Mais cette année, l’exclusion a été massive, elle concerne des milliers de personnes et cela était prévisible. Le contexte moral et juridique dans lequel ces élections ce sont déroulées est vraiment déroutant. Du fait de la violation de la Constitution en procédant à un amendement catastrophique du code électoral tout en oubliant les victimes du terrorisme. C’était prévisible, je ne suis donc pas étonné que tout de suite après les élections il y ait eu une avalanche de protestations. Il faut maintenant se préparer pour l’avenir. En rappel, dans le passé quand on luttait pour la démocratie, c’est petit à petit qu’on a obtenu la CENI, le CSC, le bulletin unique, le chef de file de l’opposition. Aujourd’hui, nous devons encore travailler à élever le niveau de la pratique de la démocratie. En un mot, je ne suis pas satisfait parce que ce n’est pas un exemple de démocratie. Les responsabilités sont partagées entre le pouvoir, l’opposition et le peuple burkinabè.

 

Roch Marc Christian Kaboré a été réélu au 1er tour avec 57,74 % des voix. Etes-vous surpris ?

Pas du tout, pour plusieurs raisons. Au niveau de l’opposition, on n’a pas lutté pour avoir des élections crédibles pour garantir une alternance. Il y a beaucoup de choses que l’opposition aurait pu faire et cela n’a pas été fait.  En Afrique, c’est une aberration d’organiser des élections et de les perdre. Donc pour moi, il y a beaucoup de facteurs qui font que ça ne m’étonne pas qu’il soit élu avec ce pourcentage.

 

À l’issue de ces élections, le CDP devient la 2ème force politique et l’UPC la 4èmeVous attendiez-vous à ce chamboulement ?

 

Je ne m’attache pas tellement à cela. Comme je savais que le président Kaboré serait réélu,  je savais qu’on aurait une telle configuration de l’opposition. D’ailleurs, les signes avant-coureur se voyaient. Dans la sous-région, il y a un problème de gouvernance qui se pose actuellement, un problème de réforme de nos institutions. La priorité pour moi se situe dans ce cadre et dedans je mets l’opposition.

 

Eddie Komboïgo devient le CFOP. Selon vous, que devra-t-il faire concrètement pour l’enracinement de la démocratie au Burkina Faso ?

On verra bien ce qu’il va proposer. Pour que l’opposition puisse jouer son véritable rôle, il faut qu’elle ait une assise protégée. Elle doit avoir des marges de manœuvre pour pouvoir s’exprimer, critiquer, être active sur le terrain. Pour que cette opposition ait un rôle, il faut des réformes politiques profondes pour réajuster les mécanismes institutionnels.

 

Le président du Faso va prêter serment le 28 décembre prochain ; quel sera le socle de son deuxième mandat ?

Il y a beaucoup à faire. Quand on regarde le contexte national, il y a des problèmes à tous les niveaux, au plan politique, de l’emploi, du social, de l’économie. Ne parlons même pas du terrorisme qui est là. Il a une charge énorme et pour pouvoir accomplir ce travail avec une certaine sérénité, le réflexe devrait être d’aller vers une Union sacrée, voire comment rassembler tous les Burkinabè au-delà de leurs divergences politiques, idéologiques ; comment  adhérer à un programme commun de sauvetage national.

 

Dans un entretien ressent, le président Kaboré s’est engagé pour le retour de l’ancien président Blaise Compaoré et de tous les exilés politiques. Comment cela se devrait se traduira-t-il sur le terrain selon vous ?

Il y a plusieurs façons d’y procéder. Généralement dans un pays, quand il y a un problème de désunion, ça peut intervenir sous la forme d’une amnistie. Il y a des prérogatives qui reviennent directement à l’exécutif ou à l’Assemblée qu’on peut mettre en œuvre pour permettre aux Burkinabè de se retrouver. On voit de plus en plus qu’il y a  un problème qui se pose en l’amnistie, la réconciliation et la justice. Beaucoup estiment que aller à la réconciliation, c’est encourager l’impunité. Il faut trouver une proposition qui arrive à réunir les deux. C’est pour cela que je propose la justice transitionnelle. Quand on dit justice transitionnelle, il y a justice mais en aboutissant à la réconciliation. La seule différence que beaucoup ne voient pas, c’est que cette justice n’est pas pratiquée comme la justice classique. Donc, on peut marier ces deux ambitions, réconciliation et justice à travers la justice transitionnelle. J’ai beaucoup apprécié la sortie du président Kaboré lors de la campagne électorale où il faisait le distinguo entre le cas de l’ancien président Compaoré qui à droit a certaines considérations et d’autres cas qui ont besoin d’amnistie, qu’on peut traiter différemment. En fonction de cette sortie, il faudrait prendre une mesure politique d’amnistie générale en ce qui concerne Blaise Compaoré et Yacouba Isaac Zida,  mais aussi les détenus de la MACA et de la MACO. Une mesure qui leur permettrait de participer à la vie nationale avant de les amenés à des assises.

Hermann Yaméogo, président de l’UNDD

 

D’aucuns disent que le retour de l’ancien chef de l’État, Blaise Compaoré peut polluer l’échiquier politique national. Etes-vous de cet avis ?

On a dit beaucoup de choses, notamment que c’est lui qui finançait le djihadisme ! On s’est rendu compte que c’était un argument électoral. Au contraire, quand on a un facteur de déstabilisation et qu’on peut, en s’en approchant, régler le problème national, il ne faut pas hésiter. Il suffit de le faire venir pour aider à un sursaut national. Dans ce pays il y a beaucoup de culture de la méchanceté, de la revanche, de la justice primitive. Ce qui fait que les gens pensent que la politique c’est la violence. Mais, ce n’est pas cela la politique. Si nous avons des conflits éternels dans certains pays, c’est qu’ils n’arrivent pas à dépasser toutes ces considérations et mettre l’accent au niveau national.

 

Dans le contexte sécuritaire actuel, faut-il négocier avec les terroristes ? Si oui comment ?

Le président Félix Houphouet-Boigny a, par exemple, toujours dit que le dialogue était au début et à la fin de tout. La guerre se termine par le dialogue ; pourquoi ne pas faire l’économie de la guerre et aller au dialogue ? Toutes les guerres sont ponctuées par des négociations, des amnisties. Le djihadisme est difficile à combattre, même la première puissance (les États-Unis) négocie parce qu’elle se dit qu’à un moment, quand il y a trop de morts, il faut chercher des solutions. Beaucoup de pays ont négocié avec les terroristes et nous, nous sommes très loin de ces derniers ; en plus nous avons en face un adversaire très coriace. Il faut qu’on puisse envisager cette possibilité. Et y a plusieurs façons de le faire. On peut commencer par négocier avec des nationaux et après, pourquoi ne pas s’orienter vers une négociation sous-régionale ! A l’époque de Blaise Compaoré, il y a une telle structure de négociation qui avait été mise en place avec l’Union africaine et les Nations unies dans le cadre régional. Nous sommes confrontés aux mêmes problèmes. Face à une telle situation qui nous dépasse, on doit mettre ses convictions de côté et penser à la nation. Car on fait la politique pour l’intérêt général et non individuel. Les propos du président Kaboré par rapport à la question des négociations sont, selon moi, des propos politiques.

 

Que pensez-vous de la vague de 3ème mandat actuellement en Afrique ?

Dans le principe, il ne devrait pas avoir de problème dans la limitation des mandats présidentiels. Parce qu’en démocratie pure, on ne peut pas entraver la volonté populaire, car c’est le peuple qui décide. Dans le principe donc on ne doit pas limiter les mandats. D’une manière générale c’est le multipartisme. C’est parce que dans la pratique de la démocratie il y a des déviations, beaucoup ont voulu inféoder et se pérenniser au pouvoir. Sinon en principe, en droit ce n’est pas concevable. On ne peut pas dire que le pouvoir appartient au peuple et limiter le choix du peuple. Il faut une nouvelle lecture de la gouvernance et dire que le peuple n’est pas totalement souverain. Mais le contexte fait que si l’on ne passe pas par là, c’est difficile d’avoir des alternances en Afrique.

 

Quel est votre mot de la fin ?

Des remerciements, pour la presse qui s’intéresse à un aspect des choses qui n’est pas coutumier. Il ne faut pas critiquer pour critiquer, mais il faut savoir apprécier quand c’est bon et critiquer quand c’est mauvais, faire des propositions alternatives. C’est comme cela que les choses évoluent.

Awa Cécile BANGARE (stagiaire)